Source : Musées d'Annecy.
Fin XIe siècle : Eglise Saint-Maurice d'Annecy-le-Neuf, sous le premier château (église paroissiale, reconstruite après le grand incendie de 1448 et détruite en 1793 sous la Révolution).
1145 : Distinction explicite par le pape Eugène III des églises paroissiales d'Annecy-le-Vieux (Saint-Laurent) et d'Annecy-le-Neuf (Saint-Maurice) : ecclesias Annessiaci veteris et novi (« églises d'Annecy-le-Vieux et le-Neuf »).
1179 : Fondation de l'abbaye cistercienne de Sainte-Catherine-du-Mont au Semnoz, laquelle devient, dès 1195 (avec l'inhumation de Guillaume Ier) et jusqu'en 1367, la nécropole des comtes de Genève et où les familles nobles et bourgeoises d'Annecy placent certaines de leurs filles. En effet, c'est au XIIe siècle qu'apparaissent les premières moniales cisterciennes, au moment où l’ordre, branche réformée des bénédictins, fondé en 1098 à Cîteaux par saint Robert de Molesme suivant la règle de saint Benoît, connaît un essor considérable grâce à saint Bernard de Clairvaux.
Début XIVe siècle : Installation des chanoines hospitaliers de Saint-Antoine ou Antonins, une communauté canoniale régulière du Dauphiné, suivant la règle de saint Augustin à partir du XIIIe siècle. A Annecy, ils fondent un hospice pour accueillir les malades atteints du « mal des ardents » (dû à l'ergot du seigle), puis les pèlerins, les nécessiteux, les enfants trouvés ou orphelins, et, au XVe siècle, les pestiférés. Au tout début du XIVe siècle, des hospitaliers de l'ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem (1113), appartenant à la commanderie genevoise de Compesières, établissent un hospice et une église devant laquelle, en 1453, au carrefour des charrières (« grandes » rues) de Bou(tz) (pour Boutae) et du Pâquier, ils creusent un puits public, dit puits Saint-Jean, refait à neuf en 1689 avec une toiture conique soutenue par des colonnes, puis fermé en 1789 à cause d'infiltrations, abandonné en 1805 et comblé en 1823. Ce n'est qu'en 1976 que sa margelle, conservée, est replacée à proximité de l'emplacement originel dans la nouvelle croix piétonne.
1348 : Installation des chanoines du Saint-Sépulcre, une communauté canoniale créée par Godefroy de Bouillon après la prise de Jérusalem en 1099 en vue de protéger le Saint Sépulcre et d’assurer la vie liturgique du sanctuaire. D'abord séculière, elle devient régulière en suivant la règle de saint Augustin à partir de 1114. Contraint de quitter la Terre sainte à la fin du XIIIe siècle, cet ordre religieux se replie en Europe, où, en 1489, le pape Innocent VIII l’incorpore à celui des hospitaliers. A Annecy, en 1348, grâce au comte Amédée III de Genève, André d’Antioche, trésorier de l’ordre en Lombardie, établit un prieuré de douze chanoines, avec une église et un hospice pour accueillir pèlerins et pauvres.
1360 : Eglise Notre-Dame-de-Liesse.
1394 : Erection, par Robert de Genève (le pape Clément VII) de l'église Notre-Dame-de-Liesse, nécropole des comtes de Genève depuis 1367, en une collégiale qui, devenant le centre d'un pèlerinage très populaire, confère à Annecy un grand prestige.
1422 : Installation des dominicains. La communauté des frères prêcheurs, fondée en 1215 par saint Dominique, est un ordre mendiant qui ne s’installe dans une localité que si la population l’accepte. Les dominicains suivent la règle de saint Augustin, mais ne sont pas des moines (à l'écart du monde), car ils ont pour mission la prédication. A Annecy, en 1422, à l’initiative du cardinal de Brogny, natif du pays, Jean Grumelli vient d’Avignon poser la première pierre d’un couvent et d’une chapelle (future église Saint-Maurice) consacrée en 1445.
1534 : Installation des franciscains ou cordeliers. La communauté des frères mineurs, fondée vers 1210 par saint François d’Assise, est un ordre mendiant qui ne s’installe dans une localité que si la population l’accepte. Les franciscains ou cordeliers suivent la règle de saint François, mais ne sont pas des moines (à l'écart du monde), car ils se donnent pour mission l’évangélisation par l’exemple. Ils s’implantent à Annecy en 1534 et leur chapelle (future cathédrale Saint-Pierre) est consacrée en 1539. Cependant, la cohabitation entre les franciscains et les chanoines expulsés de Genève par la réforme protestante est difficile et le pape finit par dissoudre la communauté franciscaine d’Annecy en 1771.
1536 : Arrivée de la majorité du chapitre cathédral de Saint-Pierre de Genève et des clarisses, qui refusent la réforme protestante. L’ordre des clarisses, pauvres dames ou cordelières, est une communauté franciscaine fondée en 1212 par sainte Claire d’Assise.
1568 : Installation de l'évêque de Genève, monseigneur Ange Giustiniani.
1578 : Début de la Contre-Réforme ou réforme catholique savoisienne avec monseigneur Claude de Granier.
1592 : Installation des capucins aux Marquisats. L'ordre des frères mineurs capucins (du capuchon couvrant leur tête) est une communauté franciscaine fondée en 1525.
1602 - 1622 : Episcopat de François de Sales.
1610 : Fondation de l'ordre de la Visitation de Sainte Marie par François de Sales (canonisé en 1665) et Jeanne de Chantal (canonisée en 1767) : d’abord une simple congrégation, vouée à la contemplation et à la charité envers les pauvres et les malades, ouverte, sur la proposition de Jeanne de Chantal, aux veuves, aux filles de santé fragile ou handicapées, aux femmes âgées ; ensuite, dès 1618, pour être reconnue par le pape, elle devient un ordre monastique (cloîtré) suivant la règle de saint Augustin.
1614 : Construction du premier monastère de la Visitation (sur l'emplacement de l'actuelle église Saint-François) et installation des barnabites ou clercs réguliers de Saint-Paul, dont l'ordre est fondé en 1530 dans l’église Saint-Barnabé à Milan en vue de prêcher et d’instruire la jeunesse (à Annecy, ils prennent en charge le collège chappuisien qui connaît des difficultés).
1623 (janvier) : Transport à Annecy du corps de François de Sales, décédé à Lyon fin décembre 1622.
1634 : Fondation d'un deuxième monastère de la Visitation extra-muros (« hors des murs », monasterium extramuranum en bon latin !), en face du premier, de l'autre côté du Thiou.
1638 : Installation des annonciades au faubourg Perrière. La communauté de l’Annonciation de la Vierge Marie est un ordre monastique fondé en 1501 par sainte Jeanne de France, qui se rattache à la famille franciscaine en 1514.
1639 : Installation au Pâquier des bernardines réformées, communauté cistercienne fondée en 1622 à Rumilly par Louise de Ballon, native du pays, qui se sépare de l’abbaye de Sainte-Catherine-du-Mont au Semnoz, mais en conserve l’inspiration avec une plus stricte observance de la règle selon saint Bernard de Clairvaux.
1641 : Installation des lazaristes au nouveau grand séminaire. La communauté des lazaristes ou congrégation de la mission est une société de vie apostolique, c’est-à-dire dont les membres ne prononcent pas de vœux, fondée en 1625 par saint Vincent de Paul en vue de secourir et d’évangéliser les pauvres, puis de former le clergé. Dès leur arrivée à Annecy, ils créent une confrérie de la charité des pauvres (à ne pas confondre avec les Filles de la charité, dites « soeurs grises », congrégation instituée en 1633 par saint Vincent de Paul afin de prendre soin des malades, des aliénés, des forçats et des enfants trouvés, ainsi que de l'instruction des jeunes paysannes).
1648 : Installation des cisterciennes de Bonlieu au faubourg dit faussement de « Boeuf » au lieu de Bou(tz) (pour Boutae) après l’incendie de leur monastère. Placement des dépouilles de François de Sales et de Jeanne de Chantal dans la nouvelle chapelle de la Visitation (future église Saint-François) en voie d'achèvement.
1684 : Construction d'un grand séminaire.
1725 : Etablissement, à côté de l’hôpital Notre-Dame, d'un hôpital général pour assurer le gîte et le couvert aux mendiants moyennant un travail utile ; cette nouvelle institution, prescrite par Victor-Amédée II dans les grandes villes, réunit, à Annecy, l'hôpital de la Providence et l'Oeuvre de la charité.
1772 : Erection officielle de l'église Saint-Pierre en cathédrale.
1784 - 1792 : Edification du palais épiscopal à l'emplacement de l'ancien couvent des cordeliers et de plusieurs maisons, dont celle de madame de Warens.
1793 : Evêché constitutionnel.
1794 : Extrémisme révolutionnaire et déchristianisation : interdiction du culte, fermeture et saccage des églises, destruction des clochers, des croix, des statues, des ornements, des meubles, objets et vêtements religieux, des reliques, fonte des cloches, transformation des couvents en casernes, fabriques ou entrepôts, déportation des prêtres qui refusent de renoncer à leur état...
1803 : Sous le Consulat, l'ex-cathédrale Saint-Pierre, transformée en temple de la déesse Raison en 1794, devient une église paroissiale ainsi que l'ancienne chapelle des dominicains qui prend le nom de Saint-Maurice.
1806 : Translation solennelle des reliques de saint François de Sales à l'église Saint-Pierre, et de sainte Jeanne de Chantal à l'église Saint-Maurice.
1819 : Transformation du collège chappuisien en petit séminaire, confirmée en 1832.
1821 : Le grand séminaire, transformé en hôpital sous la Révolution, retrouve sa vocation.
1824 : Etablissement de l'ordre de la Visitation dans un nouveau monastère avec une nouvelle église rue Royale, le premier (actuelle église Saint-François) étant occupé par une fabrique textile depuis la Révolution française.
1826 : Grandioses cérémonies pour la translation solennelle des reliques de saint François de Sales et de sainte Jeanne de Chantal à la nouvelle église de la Visitation.
1831 : Instruction primaire dispensée aux garçons par les Frères des écoles chrétiennes.
1846 - 1855 : Reconstruction de l'église Notre-Dame-de-Liesse : en particulier, le choeur, rasé sous la Révolution, est rebâti de l'autre côté de la nef afin de laisser une plus grande place devant la nouvelle façade néoclassique sarde.
1849 : Instruction primaire dispensée aux filles par les soeurs de Saint-Joseph.
1911 : Etablissement de l'ordre de la Visitation dans un nouveau monastère au-dessus du château, celui de la rue Royale ayant été démoli pour construire notamment l'hôtel des Postes.
1922 - 1930 : Construction de la basilique de la Visitation.
1935 : Eglise Saint-Joseph-des-Fins.
1937 : Eglise Saint-Etienne-du-Pont-Neuf.
Symbolique chrétienne des nombres
7 : Transformation, accomplissement (saint Augustin)
8 : Complétude, éternité (saint Augustin) 9 : Achèvement, perfectionGrandes dates des débuts du christianisme sous l'empire romain
Réduire la religiosité à des explications psychologiques, c'est viser trop court et c'est passer à côté de la réalité irréductible qu'est le sentiment religieux. Non, la religion n'est pas une ruse psychique qui s'ignore, [...] des croyances consolatrices. Le divin, le sacré, est une qualité primaire qu'on ne peut dériver d'autre chose.
Paul Veyne, Quand notre monde est devenu chrétien, Albin Michel.
(Voir également, sur cette question, Comment notre monde est devenu chrétien, CLD, de Marie-Françoise Baslez)
Quelques notations d'ordre théologique
« Que la foi procure un complément [Praestet fides supplementum] à la défaillance des sens [sensuum defectui]. »
Saint Thomas d’Aquin.
Le coeur a ses raisons que la raison ne connaît point [...].
C'est le coeur qui sent Dieu, et non la raison. Voilà ce que c'est que la foi ; Dieu sensible au coeur, non à la raison.
La foi est un don de Dieu [...].
Pascal, Pensées, IV, 277, 278, 279.
Résumé de la théorie augustinienne de la grâce, don de Dieu.
Source : Etienne Gilson, Introduction à l'étude de saint Augustin (Vrin, 1943).
L'acquisition de la grâce est pour l'homme une condition nécessaire du salut. Certains croient l'acquérir au moyen de leurs bonnes oeuvres, mais c'est [pour saint Augustin] renverser indûment les termes du problème. La grâce ne serait pas gratuite [un don de Dieu], c'est-à-dire ne serait plus grâce, s'il était possible de la mériter. Or, le commencement de la grâce, c'est la foi. La foi passe donc avant les oeuvres, non qu'elle en dispense et les supprime, mais au contraire parce qu'elles en découlent. En d'autres termes, nul ne doit penser qu'il a reçu la grâce à cause des bonnes oeuvres qu'il a accomplies, mais qu'il ne saurait accomplir de bonnes oeuvres à moins que, avec la foi, il n'ait reçu la grâce. L'homme commence donc d'avoir la grâce lorsqu'il commence à croire en Dieu, sous un avertissement [un signe] qui lui vient soit du dedans, soit du dehors. D'abord conçue, puis née dans l'âme, cette vie nouvelle fait un homme nouveau de celui en qui elle va désormais se développer.
Mais la foi ne va pas sans la raison : « La foi et la raison [Fides et ratio] paraissent comme deux ailes [quasi binae pennae videntur] qui permettent à l'esprit humain de s'élever [quibus animus hominis a(t)(d)tollitur] vers la contemplation de la vérité [ad contemplationem veritatis]. »
Jean-Paul II, Encyclique Fides et ratio, 1998.
Le catéchisme de l'Eglise catholique précise : Par la raison naturelle, l'homme peut connaître Dieu avec certitude à partir de ses oeuvres, évoquant donc la « preuve physico-téléologique » (relative à l'ordre du monde et à une finalité). Cependant, cette « preuve » n'établit qu'une forte probabilité (toutefois, lire le très éclairant ouvrage de Stephen Meyer, docteur en philosophie des sciences de l'université de Cambridge, Return of the God Hypothesis, Harper Collins, 2021 - Le Retour de l'hypothèse Dieu, Guy Trédaniel éditeur, 2023). En bref, sur ce point, je suis Bernard Sève (La question philosophique de l’existence de Dieu, Presses universitaires de France, 2010), qui, avec Kant, conclut : On ne peut pas démontrer l’existence de Dieu, mais on ne peut pas davantage démontrer son inexistence. En effet, concernant la « preuve cosmologique » (relative à la cause première) d’Aristote, brillamment réactualisée par Frédéric Guillaud (Dieu existe. Arguments philosophiques, éditions du Cerf, 2013), même si l'idée d'une régression à l’infini des causes ne satisfait pas l’esprit logique, le besoin d’une explication finale ne prouve pas l’existence d’un être « incausé », transcendant, absolument nécessaire, car l’entendement ne connaît que la nécessité conditionnelle. Quant à la « preuve ontologique » (relative à l’être) de saint Anselme, plus difficile à réfuter qu’il paraît de prime abord à un moderne (si l'on est « réaliste » à l'instar de Platon, de saint Anselme et de certains scolastiques, qui attribuent aux idées une existence en soi permettant d'appréhender des réalités véritables hors de la pensée), elle demeure de l’ordre du concept, lequel, pour Kant, n’implique pas l’existence.
Mon résumé de la critique kantienne des « preuves » de l'existence de Dieu.
Source : Critique de la raison pure, 2e partie, 2e division, livre 2, chapitre 3, « Des preuves de la raison spéculative en faveur de l’existence d’un être suprême » (Flammarion, 1987).
Selon Kant, il n’y a, pour la raison spéculative, que trois preuves possibles de son existence : deux preuves transcendantales (faisant abstraction de l’expérience), la preuve dite « ontologique » (relative à l’être) qui part d’un concept « a priori », et la preuve dite « cosmologique » (relative à la cause première) qui part d’un raisonnement finalement coupé de l’expérience, puis une preuve empirique qui part d’une expérience déterminée, la preuve dite « physico-théologique » (relative à l’ordre du monde).
« De l’impossibilité d’une preuve ontologique de l’existence de Dieu » (page 475).
Cette « preuve » a été établie par saint Anselme*1 au XIe siècle, modifiée par Descartes au XVIIe siècle (l’essence de l’être parfait, dont l’idée apparaît à l’esprit éclairé, comprend nécessairement son existence) et complétée par Leibniz au XVIIIe siècle (Dieu existe s’il est possible) : « Dieu est l’être tel qu’il n’en est pas de plus grand ; or, s’il n’existait que dans la pensée, on pourrait en concevoir un plus grand, celui qui existerait aussi dans la réalité ; donc, Dieu existe nécessairement dans la réalité. »
En bref, si un être s’avère nécessaire, il doit forcément exister. Toutefois, pour Kant, le concept d’un être absolument nécessaire est « une simple idée dont la réalité objective est loin d’être prouvée par cela seul que la raison en a besoin » (page 475). En effet, l’existence relève de l’expérience (perception ou raisonnements liés à celle-ci) et se constate hors du concept, lequel, lorsqu’il n’est pas contradictoire, n’indique qu’une possibilité logique et non réelle. Exemple fameux de Kant : « Cent thalers [monnaie] réels ne contiennent rien de plus que cent thalers possibles, […] mais je suis plus riche avec cent thalers réels que si je n’en ai que l’idée (c’est-à-dire s’ils sont simplement possibles) » (page 479).
*1 Saint Anselme écrit exactement : Credimus te [Domine] esse aliquid quo nihil majus cogitari possit. (Traduction littérale : « Nous croyons que tu [Seigneur] es quelque chose que rien de plus grand ne pourrait être pensé. ») [...] Si enim vel in solo intellectu est, potest cogitari esse et in re, quod majus est. (Traduction littérale : « En fait, même si [l’on estime que] cela existe dans le seul intellect, on peut penser que cela existe aussi dans la réalité, ce qui est plus grand. »)
« De l’impossibilité d’une preuve cosmologique de l’existence de Dieu » (page 481).
Cette « preuve » a été, à la suite d’Aristote, reformulée par saint Thomas d’Aquin*2 au XIIIe siècle (l’impossibilité de la régression à l’infini des causes implique un être inconditionné) et améliorée par Leibniz au XVIIIe siècle (Dieu est la raison suffisante qui explique la contingence du monde) : « Notre monde existe, mais, n’étant ni nécessaire ni parfait, il n’a donc pas en lui-même sa raison d’être, sa cause ; il faut donc qu’il existe par la vertu d’un autre être qui ait en lui-même sa raison d’être, qui soit sa propre cause, l’Etre inconditionné : Dieu. »
Comme, dans l’expérience, tout phénomène a une cause, est soumis à une condition de possibilité, la raison ne se satisfait pas de l’idée d’une régression à l’infini des causes et cherche à poser un être inconditionné, absolument nécessaire, « possédant la suprême réalité » (page 472), c’est-à-dire Dieu. Cependant, Kant affirme que l’enchaînement des causes et des effets se manifeste seulement dans le monde sensible, où l’on ne peut conclure à l’impossibilité d’une régression à l’infini, et que l’entendement connaît uniquement la nécessité conditionnelle. Au fond, l’idéal d’un être absolument nécessaire n’est qu’un principe régulateur, mais non constitutif de la raison spéculative.
« De l’impossibilité d’une preuve physico-théologique de l’existence de Dieu » (page 491).
Cette « preuve », qui se rencontre déjà dans la philosophie antique, notamment stoïcienne (pour laquelle l’ordre du monde ne peut être, comme le pensent les épicuriens, le fruit du hasard), a été reprise par la théologie catholique, puis par les penseurs des Lumières (Dieu architecte ou horloger de Voltaire : « Le monde est une horloge [laquelle] a besoin d'un horloger. ») : « Notre monde est si complexe et si harmonieux qu’il ne peut être que l’œuvre de Dieu et avoir pour fin sa perfection. »
Même si Kant déclare respecter au plus haut point cette « preuve », la plus ancienne et la plus conforme à la raison commune, qui, en outre, nous incite à mieux étudier la nature, il rappelle qu’on ne pourra jamais s’élever à l’inconditionné à partir de l’expérience dans le monde sensible. Finalement, d’après lui, tout se ramène à l’argument ontologique ci-dessus réfuté. En effet, afin de démontrer l’existence de Dieu, la preuve « physico-théologique » se fonde sur la preuve « cosmologique », laquelle s’appuie sur la preuve « ontologique ». Néanmoins, en fin de compte, le système des lois physiques donnant au monde sa cohérence plaide en faveur d’une intelligence organisatrice. A ce sujet, il faut noter que « l'évolution naturelle ne peut pas sélectionner des éléments présentement inutiles en prévision de l'utilité qu'ils auront lorsqu'ils seront assemblés » (Frédéric Guillaud, op. cit.).
*2 En fait, saint Thomas d’Aquin formule cinq preuves rationnelles, indépendantes et complémentaires, qui établissent, chacune sous un aspect différent, l’existence de Dieu : les preuves par le mouvement (Dieu, premier moteur), par la cause efficiente (Dieu, cause première), par le nécessaire (Dieu, être nécessaire), par les degrés d’être (Dieu, être parfait) et par la cause finale (Dieu, intelligence suprême). Voici succinctement résumée, par mes soins, la première preuve, la plus célèbre parce que la plus manifeste.
Elle part du principe aristotélicien que rien, dans ce monde, ne se meut de soi-même : « Nous voyons que toutes les choses qui sont mues le sont par d’autres » (Videmus omnia quae moventur ab aliis moveri, saint Thomas dixit). Mouvoir une chose, c’est la faire passer de la puissance à l’acte, ce que seul un être en acte peut effectuer. Par exemple, le feu en acte brûle le bois, lequel ne pouvait brûler qu’en puissance. Cependant, une chose ne peut être à la fois et sous le même rapport en puissance et en acte, donc se mouvoir elle-même. Si ce par quoi une chose est mue se trouve soi-même en mouvement, c’est que le « moteur » est mû par un autre, et ainsi de suite. Toutefois, on ne peut remonter à l’infini, car chaque corps se meut en un temps fini dans l’instant présent, et, pour expliquer le mouvement, il est nécessaire de poser un premier moteur immobile que rien d’autre ne meuve : Dieu.
Dans la Somme contre les Gentils, saint Thomas développe longuement et minutieusement tous les raisonnements philosophiques possibles en vue d’étayer cette preuve, même celui qui suppose faussement l’éternité du monde et du mouvement (comme le pensait Aristote), afin de demeurer dans le cadre de la philosophie, c’est-à-dire de la raison, sans faire intervenir la foi.
Source : Etienne Gilson, Le Thomisme. Introduction à la philosophie de saint Thomas d'Aquin, chapitre 2, « Les preuves de l'existence deDieu » (Vrin, 1989).
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