Source : Tripadvisor.
Appellation. Avant d'être érigé en abbaye en 1674, le monastère de Talloires est, pendant des siècles, un simple prieuré, dirigé par un prieur, dépendant d'une abbaye, dirigée par un abbé. Au sens strict, un monastère est une maison religieuse dans laquelle des moines (ou des moniales) vivent en communauté, mais cloîtrés, c'est-à-dire à l'écart du monde.
Fondation. En 867, le roi de Lotharingie Lothaire II cède à son épouse Theutberge des domaines fonciers (villae, « propriétés agricoles ») autour d'Annecy et de son lac, dont Talloires : […] Teotbergae dilectissime nostrae conferremus […] villas, quorum sunt haec vocabula : Sagenadum, Primiacum et montem sancti Martini, Anesciacum, […] Talgarium, Dulziadum […]. (Ma traduction : « A notre très chère Theutberge, nous attribuons les propriétés dont les dénominations sont les suivantes : Seynod, Pringy et Saint-Martin-Bellevue, Annecy, Talloires, Doussard. »)
En 879, le roi de Bourgogne Boson place la petite maison religieuse de Talloires (une celle, du latin cella, « sanctuaire »), peut-être fondée par Theutberge et hébergeant quelques moines, dans la dépendance de l'abbaye bénédictine de Tournus : Concedimus in comitatu Genevensi cellam quae vocatur Talgaria, quae etiam dicata est in honore sanctae Mariae […]. (Ma traduction : « Nous concédons, dans le comté de Genève, la maison religieuse qu’on appelle Talloires, et qui, de plus, est dédiée à sainte Marie. »)
En 1016, le roi de Bourgogne Rodolphe III unit la cella de Talloires à l’abbaye bénédictine de Savigny, d’où vient saint Germain, lequel, faisant appliquer une règle stricte, est considéré comme le véritable fondateur du prieuré. La reine de Bourgogne Ermengarde y fait construire une nouvelle église, plus vaste, consacrée en 1031. Le premier prieur, saint Germain, finit sa vie comme ermite au-dessus de Talloires et le deuxième prieur, son frère, saint Ruph, fait de même dans un ermitage au-dessus de Faverges. Leurs premiers compagnons et successeurs, Ismius et Ismidon, les imitent…
Organisation. Le prieur est assisté par trois officiers claustraux qui administrent librement les revenus alloués : le sacristain, l’ouvrier (responsable de l’entretien et des réparations des locaux) et l’infirmier. Les serviteurs (portier, barbier, cuisinier, bûcheron, vigneron, etc.) sont des officiers laïcs, dont la charge est héréditaire, et celle de maître de cuisine est souvent occupée par un noble. Les moines portent le froc, un grand manteau noir à larges manches et capuchon et, par-dessus, un scapulaire noir fait de deux bandes d’étoffe réunies autour du cou et tombant des épaules sur la poitrine et sur le dos. Chacun reçoit de quoi entretenir ses vêtements en faisant éventuellement appel à un tailleur et à un cordonnier, logés et nourris par le monastère, comme le barbier-chirurgien qui vient chaque semaine pour raser ou saigner les moines. Alors que l’abbaye de Savigny n’admet que des nobles, les moines de Talloires sont surtout des gens du voisinage d’origine sociale très diverse. Leur journée est rythmée par les offices liturgiques des heures canoniales : matines, laudes, prime, tierce, sexte, none, vêpres, complies. Leurs repas sont composés de pain et de fromage les jours maigres, c'est-à-dire les mercredis, vendredis et samedis ; les autres jours, on ajoute de la viande bouillie, du poisson ou des oeufs, avec des légumes ou des légumineuses, des fruits et du vin.
Droits et donation. La reine de Bourgogne Ermengarde apporte des biens importants afin d’assurer la subsistance d’une vingtaine de moines obéissant à un prieur : hameaux de Ponnay et de Vérel au-dessus de Talloires, forêt de Chère, manses d’Echarvines et de Ramponnet au-dessus de Menthon, villa et église de Bluffy, seigneuries et églises de Marlens et de Doussard, hameaux de Vésonne et de Marceau.
En 1145, le pape Eugène III confirme les donations faites au prieuré par les évêques de Genève : par Guy, les églises paroissiales d'Annecy-le-Vieux (Saint-Laurent) et d'Annecy-le-Neuf (Saint-Maurice), de Montmin, de Menthon, de Thônes, de Serraval, de Faucemagne (Saint-Ruph), de Chevaline, d’Archamps, de Collonges, de Lully, et de Francheville en Lyonnais ; par Arducius, les églises d’Alex, de Lathuile et de Vieugy, soit, en tout, dix-huit églises, dont les curés sont nommés par les moines qui leur versent une pension sur les revenus de la paroisse, la portion congrue.
Au XIIe siècle, tandis que de nombreux petits nobles, bourgeois ou paysans aisés lèguent des terres ou des revenus, le comte de Genève Amédée Ier, mort en 1178, octroie au prieuré le droit de percevoir la leyde (impôt sur les marchandises) sur le marché du mardi à Annecy, puis, à son tour, son successeur, le comte Guillaume Ier, mort en 1195, donne une part de la dîme (impôt sur les récoltes) sur une vigne et un champ près d’Annecy, quatre maisons dans la ville, la permission de faire paître les porcs dans sa forêt du Semnoz. A la fin du siècle, le seigneur de Faverges Guifret laisse au monastère ses droits sur plusieurs villages.
Au XIIIe siècle, les richesses des moines augmentent encore grâce aux dons des comtes de Genève et de divers particuliers qui veulent assurer leur salut. Un exemple entre mille : une veuve de Talloires lègue au prieuré un pré et une vigne au clos de Chère à charge de dire une messe pour elle chaque jeudi.
En 1333, Talloires absorbe le prieuré de Faucemagne (Saint-Ruph). Quoique celui de Talloires soit devenu très important, il ne sera érigé en abbaye que le 18 juillet 1674 par le pape Clément X.
Au XVe siècle, sous l’égide du cardinal de Brogny, Talloires incorpore le prieuré de Saint-Jorioz, fondé également par un moine de Savigny, puis obtient du pape et du duc de Savoie des privilèges religieux et civils : entre autres, avec un tribunal sis dans le bourg, des fourches patibulaires et un pilori, le monastère, qui a droit de basse et de haute justice depuis 1316, acquiert, en 1448, la possibilité d’infliger la peine capitale par décapitation sur un plot au lieu-dit le Vivier. Talloires est désormais un des grands vassaux des ducs de Savoie.
Grâce à tous ces revenus, les moines peuvent établir, sur la route, une hôtellerie offrant gracieusement le gîte et le couvert aux pèlerins et voyageurs de passage. Leur scriptorium, « atelier de copiste » en latin médiéval, calligraphie les textes anciens. De plus, en mesure de constituer une riche bibliothèque, ils fondent une école et un hôpital ainsi qu'à l'écart, une maladière (léproserie), et, bien sûr, ils font des aumônes quotidiennes aux pauvres. En outre, le prieuré est un foyer artistique qui diffuse l'art roman dans la région.
Description. Au sud du cloître aux galeries à arcades, avec son jardin et son puits central, se dresse l’église, surmontée d’un haut clocher, construite en pierres de taille, en partie récupérées dans les ruines de la petite ville gallo-romaine de Boutae, détruite par les barbares au VIe siècle apr. J.-C. Elle comprend un porche monumental, orné de statues de saints, une grande nef bordée par des colonnes coiffées de chapiteaux décorés, et par des chapelles, et un chœur où l’autel, encadré par quatre piliers, trône devant les stalles des moines adossées au mur de l’abside. La sacristie se tient tout contre. A l’ouest du cloître, un bâtiment abrite la porterie, la bibliothèque, les archives, le noviciat et son dortoir. Au nord, on trouve, au-dessus de vastes caves, ouvertes de plain-pied sur une terrasse extérieure, l’écurie avec quelques chevaux, l’étable avec une douzaine de vaches, la fromagerie et la paneterie ; du côté intérieur, au rez-de-chaussée, la cuisine et le réfectoire, à l’étage, les cellules des moines. A l’est, un troisième bâtiment contient la lingerie, la salle de bains, l’infirmerie et la grande salle capitulaire, dite Chambre blanche, la seule pièce à être dotée d'une cheminée, donc pouvant servir de chauffoir*. Un passage voûté conduit à l’habitation du prieur, entourée de jardins particuliers, avec ses appartements privés, mais aussi des chambres d’hôtes et la grande salle de justice priorale, flanquée d’une tour carrée qui fait office de prison. Devant le prieuré, une terrasse basse mène au rivage du lac ; le jardin des moines court le long de l’église et, derrière, s’étend le grand jardin…
* Salle chauffée où les moines se réunissent l'hiver par grand froid.
Source : H. Révoil, Architecture romane du midi de la France.
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