Brefs extraits de dix grands auteurs romains

Brefs extraits de dix grands auteurs romains

Page modifiée le 22 janvier 2024.



Etre « romain », c'est avoir, en amont de soi, un classicisme à imiter et, en aval de soi, une barbarie à soumettre.

Rémi Brague


Virtus [« maîtrise de soi, discipline, courage »], pietas [« respect de l'ordre du monde et de la cité »], fides [« bonne foi, fidélité aux engagements, à la parole donnée »], tel est l'idéal romain. Cette trilogie domine tous les aspects de la vie [...].

Pierre Grimal


Un cerveau clair, une conscience droite, un coeur généreux, tel est le triple idéal présenté par tous les grands génies littéraires de Rome.

Lucien Sausy




Source : Wikimedia Commons.

Buste de Cicéron sculpté au XIXe siècle d'après un original romain aux musées du Capitole à Rome.



Introductions et notes [NDLR] : Alain Cerri.



CICERON (Marcus Tullius Cicero), 106 - 43 av. J.-C.. Elu consul en 63 av. J.-C., le brillant orateur Cicéron combat la conspiration de Catilina d'abord par des discours : les Catilinaires (Catilinam orationes) ; devant les sénateurs, il entre directement dans le vif du sujet par ces mots fameux : Quousque tandem abutere, Catilina, patientia nostra ? (« Jusques à quand, à la fin, Catilina, abuseras-tu de notre patience ? ») Et il poursuit : « Combien de temps encore ta rage esquivera-t-elle nos coups ? Jusqu'où t'emportera ton audace effrénée ? »

Dans les Tusculanes (Tusculanae disputationes), Cicéron fait l'apologie de la méditation philosophique : « Oui, certes, il existe une médecine de l'âme, et c'est la philosophie. Mais, pour recourir à elle, il ne faut pas, comme dans les maladies du corps, aller chercher une aide en dehors de nous : de toutes nos forces, il nous faut travailler à nous soigner nous-mêmes. »

Dans De la vieillesse (De senectute), Cicéron précise : « Bien sûr, à ceux qui ne trouvent aucune ressource en eux-mêmes pour vivre dans le bonheur et le bien, tout âge est pesant ; tandis qu’à ceux qui cherchent en eux-mêmes tous les biens, rien de ce que la loi de la nature impose ne peut sembler un mal. »

Langue : « Cicéron est incomparable par l'harmonie de sa langue ; il a porté la prose latine à sa perfection classique ; un vocabulaire choisi, une syntaxe rigoureuse, des périodes qui donnent une impression d'équilibre et de plénitude. » (Hubert Zehnacker, voir bibliographie au bas de la page.)


CESAR (Caius Julius Caesar), vers 101 - 44 av. J.-C.. Dans ses Commentaires sur la guerre des Gaules (Commentarii de bello gallico), César, entre autres remarquable écrivain, commence par faire une description qui restera célèbre : « La Gaule, dans son ensemble, est divisée en trois parties : l'une est habitée par les Belges, une autre par les Aquitains, la troisième par ceux nommés Celtes dans leur langue et Gaulois dans la nôtre. Ces peuples diffèrent entre eux par la langue, les coutumes et les lois. Les Gaulois sont séparés des Aquitains par la Garonne, des Belges par la Marne et la Seine. Ceux-ci sont les plus braves de tous parce qu'ils sont les plus éloignés de la civilisation raffinée de la province romaine [la Narbonnaise, NDLR], que les marchands circulent rarement chez eux et n'y importent point ce qui contribue à amollir le courage ; de plus, ils sont voisins des Germains, qui habitent au-delà du Rhin, et avec lesquels ils sont continuellement en guerre. »

Se mettant souvent en scène, le grand chef de guerre n'oublie toutefois pas de faire l'éloge de ses courageux soldats : « Le corps à corps était acharné. […] Le centurion Marcus Petronius, écrasé par le nombre et couvert de blessures, voyant sa mort certaine, s'adressa aux hommes qui l'avaient suivi en ces termes : Puisque je ne peux me sauver avec vous, je veux, du moins, préserver votre vie, que ma passion de la gloire a mise en péril. Songez à votre salut ; je vais vous en donner le moyen. Ce disant, il se précipita au milieu des ennemis, en tua deux et réussit à dégager une issue. Ses hommes se portèrent à son secours, mais il refusa leur aide et leur enjoignit de se replier avant que ses forces ne le trahissent. Peu après, ayant perdu beaucoup de sang, il tomba les armes à la main pour assurer le salut des siens. »

Langue : « Les commentaires de César se distinguent par une rédaction soignée, l'élégance et la pureté de leur langue, une sobriété exemplaire à l'opposé du style cicéronien. » (Hubert Zehnacker)


LUCRECE (Titus Lucretius Carus), vers 98 - 55 av. J.-C.. Dans La Nature des choses (De rerum natura), le poète et philosophe Lucrèce expose la doctrine matérialiste épicurienne qui nie création et divinité, rejette religion et passion pour prôner la recherche du plaisir simple en limitant les désirs : « La mort n'est rien pour nous, et ne nous touche en rien, puisque l'âme est mortelle aussi bien que le corps. […] Quand un jour, nous n'existerons plus, puisque l'âme et le corps, dont l'union nous fait être, auront été disjoints, nous pouvons être sûrs que rien, absolument rien, ne pourra nous atteindre et émouvoir nos sens. »

Langue : « Le vers de Lucrèce peut apparaître rude et archaïque, mais il a de la vigueur dans l'expression et de la puissance dans les images. » (Hubert Zehnacker)


SALLUSTE (Caius Sallustus Crispus), 86 - 36 av. J.-C.. Dans La Guerre de Jugurtha (De bello jugurthino), Salluste, historien des crises de la République, souligne le déclin de l'aristocratie sénatoriale qui écarte du gouvernement les chevaliers les plus compétents ; il fait ainsi parler Marius, homo novus, mais vaillant officier dans l'armée d'Afrique : « S'il est vrai que l'action vient après l'élection, c'est avant l'élection qu'il faut avoir pratique et expérience de l'action. […] Ils [les anciens nobles, NDLR] méprisent mon état d'homme nouveau, moi, je méprise leur nullité ; ils me reprochent ma condition, moi, je leur reproche leurs turpitudes. Certes, je conviens qu'il n'y a qu'une nature humaine, commune à tous, mais la plus noble race, c'est celle des hommes les plus courageux. […] Si c'est à bon droit qu'ils me méprisent, qu'ils en fassent autant pour leurs ancêtres, dont la noblesse, comme la mienne, est née du mérite. Ils jalousent la dignité qui m'a été conférée ? Qu'ils jalousent aussi mes efforts, mon intégrité, et même les dangers que j'ai courus, puisque c'est grâce à eux que je l'ai obtenue. Mais ces hommes pourris d'orgueil vivent comme s'ils dédaignaient les honneurs que vous accordez, et ils les briguent comme s'ils vivaient honorablement. En voilà des hypocrites qui attendent pareillement des choses absolument opposées : les plaisirs de la paresse et les récompenses de la vertu ! Bien plus, lorsqu'ils prennent la parole au sénat, ils consacrent l'essentiel de leur discours à célébrer leurs ancêtres ; ils pensent qu'en rappelant leurs hauts faits, eux-mêmes brilleront davantage. C'est tout le contraire : plus la vie de leurs ancêtres a été illustre, plus leur propre mollesse apparaît honteuse. […] Cette valeur qu'ils s'arrogent en invoquant un mérite qui ne leur appartient pas, ils ne me la concèdent pas au nom de mon propre mérite, sans doute parce que ma noblesse est toute récente, mais cette noblesse, mieux vaut, en tout cas, l'avoir faite soi-même que d'avoir corrompu celle qu'on a reçue ! »

Langue : « Salluste met en valeur les éléments essentiels, d'où son art du discours conçu comme un instrument de compréhension et une méthode d'exposition ; son style se singularise par sa concision, sa densité, ses constructions abruptes. » (Hubert Zehnacker)


VIRGILE (Publius Vergilius Maro), vers 70 - 19 av. J.-C.. Dans l'Enéide (Aeneis), Virgile, le plus profond poète latin, qui compte, sans doute, parmi les plus grands auteurs universels, illustre les origines des Romains en unissant brillamment mythologie et histoire : « Connaissant l'avenir, instruit des prophéties, le grand maître du feu avait gravé là [sur le bouclier d'Enée, forgé par Vulcain, NDLR] l'histoire italique et les triomphes romains, ainsi que la lignée à venir d'Ascagne [fils d'Enée, NDLR] et la succession des guerres et des combats. On y voyait une louve, couchée dans l'antre verdoyant de Mars, venant d'avoir des petits, avec deux jeunes enfants, des jumeaux, pendus à ses mamelles sans la moindre frayeur ; tournant vers eux sa souple encolure, elle les caressait tour à tour, pétrissant leurs corps de sa langue. [Virgile retrace alors les grands moments de l'histoire romaine, de l'enlèvement des Sabines à la victoire d'Octave Auguste sur Antoine et Cléopâtre à Actium en 31 av. J.-C., NDLR] C'est tout cela qu'Enée admire en contemplant le bouclier divin que lui offre sa mère ; sans connaître ces faits, il jouit de leur image, et charge, sur ses épaules, le destin glorieux de ses descendants. »

Langue : « Virgile est le véritable créateur de la langue poétique classique, harmonieuse, fluide, capable des plus exquises finesses et de la plus sobre grandeur. » (Hubert Zehnacker)


TITE-LIVE (Titus Livius), vers 60 av. J.-C. - 17 apr. J.-C.. Dans la préface à sa monumentale Histoire de Rome depuis sa fondation (Ab Urbe condita libri), le grand historien Tite-Live pose ses principes : « Vaut-il la peine de raconter, dans toute son étendue, depuis les origines de la Ville [Rome, NDLR], l'histoire du peuple romain ? Je n'en suis pas absolument certain et, même si je l'étais, je n'oserais l'affirmer […]. […] Je n'envisage ni de confirmer ni de réfuter les récits concernant les événements qui ont eu lieu avant la fondation de la Ville, ou le projet même de sa fondation, car ils nous ont été transmis, embellis, par des mythes poétiques plutôt que par d'authentiques témoignages historiques. […] Voici ce que, selon moi, l'on doit observer avec toute son attention : la vie et les moeurs du passé, les grands hommes et les vertus politiques qui, en temps de paix comme en temps de guerre, ont permis la naissance et la croissance de cet empire. […] Ce que la connaissance de l'histoire offre de plus salutaire et de plus fécond, c'est de présenter en pleine lumière, comme un avertissement, le spectacle édifiant d'exemples de toute nature, à partir desquels on saisit ce qu'il faut imiter pour son bien et celui de l'Etat, et ce qu'il faut éviter […]. »

Langue : « Dense et musclé, mais sans lourdeur, ample et périodique, mais sans emphase, le style de Tite-Live s'adapte avec souplesse aux exigences les plus diverses. Comme Cicéron, Tite-Live veut enseigner, plaire et émouvoir (docere, delectare, movere). » (Hubert Zehnacker)


OVIDE (Publius Ovidius Naso), 43 av. J.-C. - vers 18 apr. J.-C.. Dans Les Métamorphoses (Metamorphoseon libri), Ovide, le seul poète latin à pouvoir disputer la prééminence à Virgile, unit et transforme mythologies grecque et romaine, épopée et tragédie pour donner une vision originale du monde et de la beauté : « Des amours d'Apollon, le premier fut Daphné. Ce n'est pas par hasard qu'il aima cette nymphe : Cupidon [dieu latin de l'amour, assimilé à l'Eros grec, NDLR], rancunier, inspira cette flamme. Le Délien venait de vaincre le Serpent [Apollon, particulièrement vénéré à Délos, avait terrassé le dragon Python, NDLR] et il n'était pas peu fier. Or, il vit Cupidon, tirant la corde à soi, faire ployer son arc. Pour toi, gamin coquin, une arme si puissante ? Porter un arc pareil convient mieux à mes épaules ; je puis, moi, d'un trait sûr, blesser la bête fauve, ou navrer l'ennemi ; je viens de terrasser, de mille flèches, Python, ce fléau mortifère, qui, de son ventre énorme, écrasait moult arpents. Toi, contente-toi d'attiser de ta torche je ne sais quels béguins d'amour, mais garde-toi de prétendre à ma gloire ! A cela, le fils de Vénus [et de Mars, NDLR] répondit : Ton arc transperce tout, Phebus [nom latin d'Apollon, NDLR], mais c'est mon dard qui va te piquer. Autant tous les vivants, face à un dieu, s'effacent, autant ta gloire est minime en regard de la mienne. D'un vol vif, fendant l'air en agitant ses ailes, il alla se poser sur le Parnasse ombreux et prit, dans son carquois, deux traits d'effets contraires : l'un fait périr l'amour, l'autre le fait naître ; celui-ci est en or et sa pointe acérée brille, celui-là est tout émoussé et sa flèche n'est qu'en plomb. Dans le sein de Daphné, Amour [autre nom de Cupidon, NDLR] ficha ce trait et il blessa Phebus de l'autre jusqu'aux moelles. Le dieu aime aussitôt, mais Daphné, au contraire, d'amante fuit la condition […]. »

Langue : « Le style d'Ovide se caractérise par une éblouissante virtuosité dans l'argumentation qui n'exclut ni la sincérité ni la délicatesse du sentiment. » (Hubert Zehnacker)


PLINE l'Ancien (Caius Plinius Secundus Major), 23 - 79 apr. J.-C.. Dans son Histoire naturelle (Naturalis historia), Pline l'Ancien, écrivain fécond et grand érudit, montre toute la misère de l'être humain : « Tout d'abord, de tous les êtres vivants, il est le seul que la nature habille des dépouilles des autres […] ; il est le seul qu'au jour de sa naissance, elle jette nu sur le sol pour y vagir et y pleurer : aucun autre animal n'est ainsi voué aux larmes et ce, dès le début de son existence. […] Par ailleurs, tous les autres êtres vivants ont conscience de leurs dons naturels […]. L'Homme, lui, ne sait rien, rien qui ne faille lui enseigner, qu'il s'agisse de parler, de marcher ou de se nourrir, rien d'autre par instinct, en fin de compte, que pleurer ! […] Il est également le seul animal à qui a été donné le deuil, le seul à qui a été donnée l'intempérance sous des formes innombrables, selon les diverses parties du corps, le seul à qui ont été donnés l'ambition, la cupidité, un désir sans mesure de vivre, la superstition, le souci de sa sépulture et même de ce qui arrivera après lui. Aucun animal n'a une vie aussi fragile, aucun ne convoite plus avidemment toutes choses, aucun n'éprouve davantage la terreur, aucun n'enrage plus violemment. Enfin, les autres animaux ont de bonnes relations avec ceux de leur propre espèce. […] Mais, par Hercule ! c'est de lui-même que, pour l'Homme, viennent la plupart de ses maux. »

Langue : « Erudit remarquable, Pline n'est pas un grand écrivain ; son style est souvent sec et énumératif ; il tend parfois à verser dans le pathos, mais son vocabulaire technique est riche et descriptif. » (Hubert Zehnacker)


TACITE (Publius Cornelius Tacitus), 58 - vers 120 apr. J.-C.. Dans ses Histoires (Historiae), Tacite, historien impérial, au double sens, propre et figuré, brosse un tableau plutôt noir de l'empire romain dans le dernier tiers du Ier siècle, où il relève tout de même des actes encourageants : « J'aborde une époque fertile en catastrophes, ensanglantée de combats, déchirée par les séditions, cruelle même durant la paix : quatre princes tombés sous le fer, trois guerres civiles et plus encore de guerres étrangères, et souvent les deux à la fois avec des succès en Orient, mais des échecs en Occident […]. En puis, en Italie, des calamités nouvelles ou anciennes renouvelées, des cités ensevelies sous leurs ruines dans la riche Campanie [notamment Pompeii, frappée par un tremblement de terre en 63 et totalement détruite lors de l'éruption du Vésuve en 79, NDLR] ; Rome, dévastée par des incendies, ses plus anciens sanctuaires réduits en cendres, le Capitole même, brûlé par les mains des citoyens […].

Ce siècle toutefois ne fut point si stérile en vertus qu'il n'ait aussi produit de bons exemples : des mères accompagnant leurs enfants en fuite, des épouses suivant leur mari en exil ; on vit des parents intrépides, des gendres courageux, des esclaves d'une fidélité à l'épreuve de la torture, de grands hommes réduits à la dernière extrémité, vaillamment acceptée, et des trépas aussi glorieux que ceux des Anciens. »

Langue : « Le style de Tacite est une antithèse systématique de la période cicéronienne ; l'ampleur et l'abondance sont remplacées par la concision et la densité ; la symétrie laisse la place à la variété ; la prose classique recule devant les raccourcis audacieux et les effets de surprise. » (Hubert Zehnacker)


SUETONE (Caius Suetonius Tranquillus), vers 70 - vers 130 apr. J.-C.. Suétone, auteur prolifique, est surtout connu de nos jours pour sa Vie des douze Césars (Vitae duodecim Caesarum), qui présente des biographies circonstanciées des dirigeants romains de Jules César à Domitien, dans lesquelles il s'attache surtout à noter les défauts et les vices, réels ou imaginaires, de ces grands personnages qu'il fait souvent passer pour des monstres à l'instar de Néron. Dans ce dernier extrait, je me permets de donner le texte latin suivi de ma traduction : Petulantiam, libidinem, luxuriam, avaritiam, crudelitatem sensim quidem primo et occulte et velut juvenili errore exercuit, sed ut tunc quoque dubium nemini foret naturae illa vitia, non aetatis esse. (« [Néron] manifesta insensiblement, du moins au début, et secrètement, et comme des erreurs de jeunesse, son impudence, sa lubricité, son intempérance, sa cupidité, sa cruauté, mais, même alors, personne ne put douter que ses vices tenaient à sa nature et non à son âge. »)

Langue : « Suétone adopte le ton le plus factuel possible : ses phrases sont généralement brèves ; le vocabulaire affecte la modération, voire la neutralité, mais, quand ces moyens servent à dénoncer la férocité, l'effet est garanti. » (Hubert Zehnacker)



N.B. Concernant SENEQUE (Lucius Annaeus Seneca), vers 1 av. J.-C. - 65 apr. J.-C., voir la page Le stoïcisme, une philosophie gréco-romaine.

Langue : « A l'opposé de l'idéal cicéronien, le style de Sénèque est chargé de pointes, d'images poétiques ou quotidiennes ; des phrases courtes et vives remplacent les périodes classiques. » (Hubert Zehnacker)



Source principale


  • Anthologie de la littérature latine, édition de Jacques Gaillard et René Martin, Paris, Gallimard, 2005.

    Remarques sur la langue des auteurs


  • ZEHNACKER, Hubert, FREDOUILLE, Jean-Claude, Littérature latine, Paris, Presses universitaires de France, 1993.

    * Je me suis permis de parfois légèrement condenser, sans modifier leur sens, les propos de Hubert ZEHNACKER, auteur des neuf premiers chapitres du livre susmentionné, afin de ne pas couper les citations par de nombreux crochets, brevitas orationis oblige !

    Autres études générales de la littérature latine


  • BAYET, Jean, Littérature latine, Paris, Armand Colin, 1998.

  • GRIMAL, Pierre, La littérature latine, Paris, Fayard, 1994.

  • NERAUDAU, Jean-Pierre, La littérature latine, Paris, Hachette, 1994.




    Quelques considérations sur le latin



    Le latin n'est pas seulement un outil de musculation de l'intelligence, il est le coeur battant de notre culture.

    Alain-Gérard Slama


    Prononciation latine : Rappelons brièvement d'emblée qu'en latin classique, toutes les lettres se prononcent (e comme é ou è, h aspiré) séparément et gardent toujours le même son : c et g toujours durs comme dans cabane et garde, ch prononcé comme dans choeur, i, lorsque consonne (devenu j en français, par ex. : iniustus, « injuste »), prononcé comme dans yoyo, q prononcé comme dans quaker, s toujours prononcé comme dans casse, t toujours prononcé comme dans table, u prononcé ou, et, lorsque consonne (devenu v en français, par ex. : nouus, « nouveau »), prononcé comme dans web, x toujours prononcé comme dans extra et y, rare, prononcé u. L'alphabet latin comporte vingt-trois lettres, dont trois rares : k, y et z, qu'on trouve dans les mots d'origine grecque. Toutes les voyelles a, e, i, o, u ont un son bref et un son long, permettant de distinguer des mots, par ex. : populus (o bref), « peuple » et populus (o long), « peuplier », le u étant bref dans les deux termes.

    Syntaxe latine : Rappelons également qu'en latin, l’ordre des mots est beaucoup plus libre qu’en français ; en effet, la fonction des termes variables dans la phrase est déterminée, non par leur place, mais par leur terminaison. Par ex., les phrases Petrus Paulum verberat, Paulum Petrus verberat, Petrus verberat Paulum, Paulum verberat Petrus, Verberat Paulum Petrus, Verberat Petrus Paulum ont le même sens : « Pierre frappe Paul », car Petrus est au nominatif (cas sujet) et Paulus est à l'accusatif (cas objet). Cependant, en latin, la place des mots n'est pas indifférente, car elle sert à traduire les nuances de la pensée : par ex., comparez Nemo non venit (« Tout le monde est venu ») à Non nemo venit (« Il n'est pas venu grand monde »), ou à créer un effet de style en groupant ou en mettant en relief certains termes, ne serait-ce que dans l'usage courant de placer la préposition entre le déterminant et le nom afin de mettre le premier en vedette : par ex., Illo sub rege (« Sous un roi tel que lui »). Analyse d'un autre ex. pris chez le poète élégiaque Tibulle (Aulus Albius Tibullus) dans ses Elegiae (liber II, elegia V, versus LXXXII) : Succensa sacris crepitet bene laurea flammis (« Que le laurier embrasé pétille favorablement dans les flammes sacrées »), soit, dans l'ordre des mots en français : laurea succensa (nominatif singulier = sujet), crepitet (verbe au subjonctif présent), bene (adverbe invariable), flammis sacris (ablatif pluriel = complément circonstanciel).

    Sémantique latine : A propos de nuances, le latin s'avère très précis ; un exemple entre mille : quand on dit « quelqu'un » en français, le latin dit quis s'il s'agit d'une personne indéterminée, supposée, aliquis s'il s'agit d'une personne réelle, mais qu'on ne peut préciser, quidam s'il s'agit d'une personne réelle qu'on pourrait préciser : par ex., comparez Si quis venit (« Si quelqu'un/n'importe qui/on vient »), Aliquis venit (« Quelqu'un/un inconnu est venu ») et Quemdam diligo (« J'aime quelqu'un », que je ne nomme pas). Autre exemple : le verbe impersonnel français « il arrive » se traduit en latin par accidit, « il arrive (par hasard ou fâcheusement) », par contingit, « il arrive (heureusement) », par evenit, « il arrive (d'une manière quelconque) ». Le latin exprime aussi davantage de nuances que le français dans les temps verbaux : par ex., la phrase au conditionnel passé « J'aurais pu le faire » se traduit par Potui hoc facere, « J'aurais pu le faire (mais je ne l'ai pas fait) », par Poteram hoc facere, « J'aurais pu le faire (mais je ne le fais toujours pas) », par Potueram hoc facere, « J'aurais pu le faire (mais je ne l'avais déjà pas fait auparavant) ».

    Histoire latine : Comment est-on passé du latin au français sur le plan grammatical ? En bref, dans l'empire romain tardif, en latin parlé, on n'accentuait plus guère la dernière syllabe d'un mot et on prononçait de moins en moins l'éventuelle consonne finale ; ainsi devenait-il difficile de connaître la fonction d'un terme variable, puisque celle-ci était justement déterminée par la terminaison selon un système de cas et de déclinaisons. Par ex., si l'on ne fait plus entendre la désinence de l'accusatif marquant le complément d'objet, dans la phrase Senecam Nero interfecit (« Néron tua/massacra Sénèque »), on ne sait plus qui a tué qui et on pourrait même croire que c'est Sénèque qui a tué Néron ! C'est pourquoi, en français, la construction sujet, verbe, objet est généralement fixe, et l'emploi des prépositions s'est multiplié pour indiquer les compléments de nom (en latin au génitif), d'attribution (en latin au datif) et circonstanciels (en latin à l'ablatif) : Liber Petri, « Le livre de Pierre » ; Do vestem pauperi, « Je donne un habit au pauvre » ; Ibam Via Sacra, « Je passais par la Voie Sacrée ». Cela dit, le latin a une longue histoire. Comme dans toutes les langues, en latin, on distingue l'oral et l'écrit. Le premier, mal connu, populaire (argotique, familier, courant) ou élitaire (plus ou moins châtié selon les catégories et les situations sociales), a considérablement varié dans l'espace au contact des autres langues et dialectes, et changé dans le temps au fil de l'usage. Le second, mieux connu et plus stable, a tout de même évolué du stade archaïque (jusqu'au Ier siècle av. J.-C.) au stade tardif (VIe siècle apr. J.-C.) en passant par le stade classique (rhétorique et littéraire, jusqu'au IIe siècle apr. J.-C.), que d'aucuns subdivisent en « âge d'or » et en « âge d'argent ». Grâce à l'Eglise catholique et également, plus tard, aux humanistes de la Renaissance, aux diplomates jusqu'au XVIIe siècle, aux savants encore au XIXe, le latin s'est perpétué, modifié, mais aussi enrichi de nombreux termes nouveaux, jusqu'à nos jours...




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