La cavalerie romaine en Gaule avant les grandes invasions de 406

La cavalerie romaine en Gaule avant les grandes invasions de 406

Page modifiée et augmentée le 28 février 2025.



Source : Adrian Goldsworthy, The Complete Roman Army.

Archer cuirassé à cheval : eques sagittarius clibanarius

Cette photo d'un reconstituteur* anglais montre qu'un archer, forcément sans bouclier, peut s'approcher plus près de sa cible grâce à la protection assurée par son casque « intégral » et sa cotte de mailles (lorica hamata, littéralement : « cuirasse à crochets »).

* Néologisme forgé sur le verbe constituer issu du latin constituere, « établir », dont, par ajout du suffixe masculin -tor désignant l’auteur d'une action, est dérivé le nom constitutor, « fondateur », qui donne reconstituteur en français.



La CAVALERIE romaine du IVe siècle en Occident est surtout de ligne ou légère et compte peu de cavaliers entièrement cuirassés (clibanarii), voire en armure sur des chevaux caparaçonnés (cataphractarii), employés en Orient contre leurs homologues. Dans l’armée des Gaules, la Notitia Dignitatum ne mentionne qu’une seule unité de ce type : les equites sagittarii clibanarii, des archers revêtus d’une cotte de mailles (lorica hamata) pesant de dix à douze kilos (voir photo ci-dessus et liste ci-dessous).

La cavalerie de ligne, chargée d’affronter une cavalerie similaire, de soutenir la légère ou de bousculer une infanterie rangée en bataille (enfin, de le tenter, car les chevaux s’arrêtent devant un mur maintenu de boucliers et de lances), est formée de cavaliers équipés comme des fantassins légionnaires sans cotte de mailles (casque métallique, grand bouclier, épée, javelot lourd ou lance), dits « porteurs d’armes » (armigeri, trois unités dans la liste ci-dessous) ou « porteurs de grands boucliers » (scutarii, deux unités dans la liste ci-dessous).

La cavalerie légère, chargée de la reconnaissance, du harcèlement et de la poursuite, comprend deux catégories de cavaliers : ceux dits « porteurs de petits boucliers » (cetrati, deux unités dans la liste ci-dessous) et les archers (sagittarii, dix unités dans la liste ci-dessous). Les premiers emportent des javelots légers (tela), en général deux ou trois, lancés, au plus loin, depuis une quarantaine de mètres ; les seconds sont dotés d’un arc (arcus) qui projette des flèches (sagittae), au maximum une vingtaine dans le carquois, à plus de cent mètres.



Hiérarchie des grades dans une unité de cavalerie organisée à la romaine
(600 cavaliers au maximum)
Catégorie et commandement Equivalents armée française
tribunus officier supérieur, commandant en chef lieutenant-colonel
primicerius officier supérieur, commandant en second chef d'escadrons
ducenarius officier subalterne, chef d'escadron capitaine
centenarius officier subalterne, chef de centurie lieutenant
biarchus sous-officier supérieur, chef de peloton adjudant
decanus sous-officier subalterne, chef d'escouade maréchal des logis (sergent)
circitor gradé de troupe, chef d'équipe brigadier (caporal)
eques simple soldat cavalier



CONTEXTE. Dans le cadre d'un système défensif en profondeur, on distingue alors les soldats affectés à la défense du limes, qu’on appelle limitanei, « ceux qui gardent les frontières », les soldats de l'arrière et les soldats palatins qui, en principe, accompagnent l'empereur, lesquels servent, non à voler au secours d'un point menacé du limes (car la progression d’une armée, composée surtout de fantassins, avec armes et bagages, s’avère relativement lente), mais, d'une part, à lutter contre un éventuel usurpateur ; d'autre part, à envoyer ou prépositionner des renforts sur un front particulier. Le titre honorifique de comitatenses (de comitatus, « suite d'un dignitaire ») est décerné à toutes les troupes romaines méritantes. Quant au qualificatif de pseudocomitatenses (« faux comitatenses »), il désigne les unités organisées à la romaine, mais non encore dignes d'être honorées. En outre, contrairement à ce que d'aucuns prétendent, les limitanei ne peuvent être des soldats-paysans, car les travaux agricoles et les opérations militaires se déroulent au même moment, et des cultivateurs, disséminés sur leurs terres, sont dans l'impossibilité de former rapidement des groupes organisés de combattants efficaces (cf. l'historien Yann Le Bohec, spécialiste de l'armée romaine, voir sources en bas de page).

La formation de base traditionnelle demeure la légion, mais si certaines, en voie de disparition, comptent toujours environ cinq mille légionnaires, la plupart sont réduites jusqu'à un millier d’hommes (en général, peut-être environ douze cents), ce qui permet de multiplier les unités, d’autant plus que les effectifs globaux augmentent. Les légions, constituées d’infanterie « lourde » (casque « intégral », cuirasse, grand bouclier, etc.), sont éventuellement complétées par des cohortes auxiliaires (fantassins légers, archers, frondeurs, etc.) et par des détachements de cavalerie (de ligne et légère avec des archers à cheval), ces derniers plus étoffés qu’auparavant, car la cavalerie prend de plus en plus d’importance, même si l'infanterie reste la « reine des batailles ». Nouveauté : il existe quelques légions spécialisées de ballistarii, « artilleurs », dotées de machines de guerre de campagne et de siège. De surcroît, il y a de plus en plus de numeri, « contingents », c’est-à-dire d’unités, en l'occurrence de cavalerie, formées de barbares intégrés, mais commandés par leurs propres chefs, équipés selon leurs propres coutumes et organisés selon leurs propres règles.



Source : Adrian Goldsworthy, The Complete Roman Army.

Soldats romains du IVe siècle apr. J.-C.

TENUE : brodequins (calcei) qui remplacent les sandales (caligae), braies (bracae) empruntées aux barbares, nouvelle tunique (tunica) décorée à manches longues ; PROTECTION : casque métallique (galea) plus simple qu'auparavant (en deux parties accolées pour les soldats, avec un revêtement en argent et une protection nasale pour l'officier au riche manteau), cotte de mailles (lorica hamata) pour un soldat, bouclier (scutum) rond avec bosse centrale (umbo) pouvant porter des flèches (sagittae) lestées de balles de plomb (plumbatae), dites mattiobarbuli ; ARMEMENT : épée longue (spatha) qui remplace le glaive (gladius), disparition de la dague (pugio), javelot lourd (pilum) sur l'illustration ou léger (telum), ou lance (hasta).



Dans les Gaules au sens large, à la fin du IVe siècle, la Notitia Dignitatum recense :

  • CAVALERIE (voir liste des unités en bas de page) : dix vexillationes palatinae, « détachements palatins » (de vexillum, « étendard »), par ex. equites brachiati, « cavaliers porteurs de bracelets », equites cornuti, « cavaliers porteurs de cornes », et trente-deux vexillationes comitatenses, par ex. equites armigeri, « cavaliers porteurs d’armes » (javelots ou lances), equites scutarii, « cavaliers porteurs de boucliers », equites sagittarii, littéralement : « cavaliers porteurs de flèches » (archers) ;

  • Infanterie : douze legiones palatinae, par ex. lanciarii Sabarienses, « lanciers sabariens » (de Sabaria, ville de Pannonie, Hongrie actuelle), plus soixante-cinq auxiliares cohortes palatinae, par ex. petulantes seniores, « vétérans prompts à l’attaque » !!!, sagittarii venatores, « chasseurs à l’arc », trente-deux legiones comitatenses, par ex. legio tertia Iulia Alpina, et dix-huit legiones pseudocomitatenses, par ex. legio prima Flavia Gallicana, dite Constantia ;

  • Contingents barbares intégrés (CAVALERIE) : quarante-sept numeri, par ex. sagittarii Nervii Gallicani, « archers nerviens gaulois » (du nom d’un peuple de Belgique).


    Commandant en chef vexillationes
    palatinae
    vexillationes
    comitatenses
    legiones
    palatinae
    auxiliares
    cohortes palatinae
    legiones
    comitatenses
    legiones
    pseudocomitatenses
    numeri
    Magister equitum
    praesentalis
    (à la cour
    impériale)
    10 32
    Magister peditum
    praesentalis
    (à la cour
    impériale)
    12 65 32 18
    Magister equitum
    Galliarum
    (en Gaule)
    47


    Cela dit, même si l’on connaît l’emplacement de certaines unités (par ex., la legio prima Flavia Gallicana se trouve longtemps en Armorique pour combattre les pirates), il est difficile de savoir où la plupart sont cantonnées.



    Liste (ordonnée par mes soins) des unités de CAVALERIE des Gaules dans la Notitia Dignitatum :

    Dix vexillationes palatinae :

  • 1. Comites (« dignes d'escorter le prince ») seniores
  • 2. Comites Alani
  • 3. Equites promoti (« cavaliers promus ») seniores
  • 4. Equites constantes (« cavaliers inébranlables »)
  • 5. Equites brachiati (« cavaliers porteurs de bracelets ») seniores
  • 6. Equites brachiati juniores
  • 7. Equites cornuti (« cavaliers porteurs de cornes ») seniores
  • 8. Equites cornuti juniores
  • 9. Equites Batavi seniores
  • 10. Equites Batavi juniores

    Trente-deux vexillationes comitatenses :

  • 1. Equites armigeri (« cavaliers porteurs d’armes », javelots ou lances)
  • 2. Equites armigeri seniores
  • 3. Equites armigeri juniores
  • 4. Equites scutarii (« cavaliers porteurs de grands boucliers ») seniores
  • 5. Equites scutarii juniores
  • 6. Equites cetrati (« cavaliers porteurs de petits boucliers ») seniores         
  • 7. Equites cetrati juniores
  • 8. Equites sagittarii (« archers à cheval ») seniores
  • 9. Equites sagittarii juniores
  • 10. Equites primo sagittarii
  • 11. Equites secundo sagittarii
  • 12. Equites tertio sagittarii
  • 13. Equites quarto sagittarii
  • 14. Equites sagittarii clibanarii (« archers cuirassés à cheval »)
  • 15. Equites sagittarii Cordueni
  • 16. Equites sagittarii Parthi seniores
  • 17. Equites sagittarii Parthi juniores
  • 18. Equites stablesiani Africani
  • 19. Equites stablesiani Italiciani
  • 20. Equites Constantiani felices (« cavaliers chanceux de Constantianus », officier de l'empereur Julien)
  • 21. Equites octavo Dalmatae
  • 22. Equites Dalmatae Passerentiaci
  • 23. Equites primo Gallicani
  • 24. Equites Honoriani seniores
  • 25. Equites Honoriani juniores
  • 26. Equites Honoriani Taifali
  • 27. Equites Marcomanni
  • 28. Equites Mauri alites (« cavaliers maures ailés »)
  • 29. Equites Mauri feroces (« cavaliers maures fougueux, intrépides »)
  • 30. Equites promoti juniores                  
  • 31. Comites juniores
  • 32. Cuneus (« coin », élite placée aux angles ?) equitum promotorum (« de cavaliers promus »)

    Quarante-sept numeri :

  • Abrincateni
  • Abulci
  • Acincenses
  • Ampsiuarii
  • Anderetiani
  • Armigeri defensores (« défenseurs armés ») seniores
  • Ascarii Honoriani seniores
  • Atecotti Honoriani seniores
  • Atecotti Gallicani juniores
  • Balistarii (« artilleurs », à cheval ?)
  • Batavi seniores
  • Batavi juniores
  • Brachiati juniores
  • Britones
  • Bructeri
  • Corniacenses
  • Cortoriacenses
  • Cursarienses juniores
  • Defensores seniores
  • Defensores juniores
  • Exploratores (« éclaireurs »)
  • Garronenses
  • Geminiacenses
  • Gratianenses
  • Honoriani Gallicani felices
  • Honoriani Sabarieses
  • Insidatores
  • Jovii Gallicani juniores
  • Lanciarii (« lanciers ») Honoriani Gallicani
  • Leones seniores
  • Marienses
  • Mattiaci Gallicani
  • Mattiaci juniores
  • Mauri Osismiaci
  • Menapii seniores
  • Musmagenses
  • Praesidienses
  • Romanenses
  • Sabarieses
  • Sagittarii (« archers ») Nervii Gallicani
  • Salii seniores
  • Secundani Britones
  • Septimani juniores
  • Superventores juniores
  • Truncensimani
  • Ursarienses
  • Valentinianenses

    N.B. Parmi les numeri, la Notitia Dignitatum mentionne, par erreur, la prima Flavia Gallicana et une prima Flavia, mais celle-là fait partie des legiones pseudocomitatenses et celle-ci est, sans doute, la cohorte prima Flavia Sapaudia au sein de la provincia Riparensi in Gallia. Quant aux unités portant uniquement des noms de peuples ou d'hommes illustres, on ignore à quelle catégorie elles appartiennent.



    Sources principales


  • COSME, Pierre, L'armée romaine, VIIIe s. av. J.-C. - Ve s. ap. J.-C., Malakoff, Armand Colin, 2021.

  • GOLDSWORTHY, Adrian, The Complete Roman Army, London, Thames & Hudson, 2003.

  • LE BOHEC, Yann, L'armée romaine sous le Bas-Empire, Paris, éditions Picard, 2022.

  • REDDé, Michel (sous la direction de), L'armée romaine en Gaule, Paris, éditions Errance, 1996.

  • NOTITIA DIGNITATUM IMPERII CUM ORIENTIS TUM OCCIDENTIS, « Registre des dignités de l'empire, d'une part de l'Orient, d'autre part de l'Occident », copie manuscrite en latin du XVIIe siècle d'un document romain du début du Ve siècle, Paris, Bibliothèque nationale de France, site Gallica, mise en ligne en 2013.

    N.B. Le terme Occident vient donc du latin, cependant non du verbe occidere (supin en cIsum, i du radical long), « tuer », mais du verbe occidere (supin en cAsumi du radical bref), « tomber » (également « se coucher » en parlant des astres, notamment du soleil*), dont le participe présent substantivé, occidens, a donné le mot Occident.
    * Exemples chez Cicéron : Solem occidentem videre, « voir le soleil à son coucher » ; Occidente sole, « au coucher du soleil », etc.




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