Enseignes de la légion romaine. Source : Florida Center for Instructional Technology. SPQR : Senatus PopulusQue Romanus (« le sénat et le peuple romain »).
Brandissant ses enseignes, la légion romaine marche sur l'ennemi, boucliers en avant, dans un ordre et un silence impressionnants, alors que les barbares gesticulent, crient et entrechoquent leurs armes, puis se lance à l'assaut en poussant son formidable cri de guerre, ce terrifiant mugissement (terrificus fremitus). Clamor, quem barritum vocant, prius non debet adtolli quam acies utraque se junxerit. (Ma traduction : « Le cri de guerre, qu'on qualifie de barrissement, ne doit pas s'élever avant que les deux lignes de bataille ne soient au contact. »)
En général, c'est une fois l'ennemi désorganisé et affaibli par une pluie de pierres et de flèches, tirées par les catapultes, les balistes, les archers et les frondeurs, que les légionnaires s'avancent, projettent d'abord leur javelot avec force, puis combattent au corps à corps avec leur glaive et aussi leur bouclier.
Végèce (Epitoma rei militaris, livre III, chapitre 18)
Qui desiderat pacem praeparet bellum (« Celui qui désire la paix devrait préparer la guerre ») devenu SI VIS PACEM PARA BELLUM (« Si tu veux la paix, prépare la guerre »).
Végèce (Epitoma rei militaris, livre III, prologue)
Etre « romain », c'est avoir, en amont de soi, un classicisme à imiter et, en aval de soi, une barbarie à soumettre.
Rémi Brague
Virtus [« maîtrise de soi, discipline, courage »], pietas [« respect de l'ordre du monde et de la cité »], fides [« bonne foi, fidélité aux engagements, à la parole donnée »], tel est l'idéal romain. Cette trilogie domine tous les aspects de la vie [...].
Pierre Grimal
Source : Luc Viatour, Boulogne, sous licence Wikimedia Commons.
TENUE : brodequins (calcei), tunique (tunica) ; PROTECTION : casque à crête transversale (galea cristata - crista transversa), cotte de mailles (lorica hamata) portant décorations : phalères (phalerae, « plaques ») et torques (torques, « colliers »), jambières (ocreae), bouclier (scutum) avec bosse centrale (umbo) ; ARMEMENT : glaive (gladius, que le centurion porte à gauche, attaché à un ceinturon, cingulum ou cinctorium, et non à droite, attaché à un baudrier, balteus, comme le simple légionnaire, voir plus bas), dague (pugio, portée à droite).
En 69 apr. J.-C., année de guerres civiles romaines à la suite de la mort de Néron, au moment où Vitellius, ayant vaincu Othon, est encore empereur, avant que Vespasien, petit-fils d’un centurion, ne restaure l’ordre dans l’empire, la 14e légion Gemina Martia Victrix, envoyée en Bretagne (Angleterre actuelle), traverse les Alpes par le col du Petit Saint-Bernard et, à Ad Publicanos (Conflans/Albertville), se divise : une moitié passe par Lemincum (Chambéry), l’autre par Boutae (Annecy). En fait peut-être partie le centurion Marcus Aurelius Lucillus, décédé à soixante ans après quarante ans de carrière militaire (!), qui a servi à la 1ère légion Aduitrix, puis à la 2e légion Traiana, à la 8e légion Augusta, à la 14e légion Gemina Martia Victrix, à la 7e légion Claudia, à la 7e légion Gemina (de geminus, « double, composé de deux éléments », c’est-à-dire une légion formée à partir de deux autres).
Mais qu’est-ce exactement qu’un centurion de la légion romaine aux Ier et IIe siècles ?
Etymologie : Du latin centurio, de centum, « cent », et de centuria, « centurie », terme d’origine étrusque (d’après Sextus Pompeius Festus, dit « Festus Grammaticus », lexicographe et philologue romain du IIe siècle), qui désigne une division civile d’une centaine de citoyens dans le cadre des comices (assemblées) centuriates, et, dans l’armée, une centaine de soldats (milites) avant de s’appliquer exclusivement à des fantassins (pedites), les cavaliers (equites) étant organisés en pelotons d'une trentaine d'hommes (turmae). En fait, l’effectif de la centurie ayant varié dans le temps, le mot n’a plus eu qu’un rapport étymologique avec « cent » et ne qualifie finalement qu’un type d’unité militaire sur le plan organique, car c’est au sein de celle-ci que s’effectue le recrutement.
Dans la légion romaine du Haut-Empire, une centurie comprend en principe quatre-vingts légionnaires, soit dix escouades (contubernia, de cum, « avec », et taberna, « cabane » – tabernaculum, « tente ») de huit hommes (contubernales, « camarades ») dormant sous la même tente ou dans la même chambrée et formant le groupe primaire de soldats soudés, cousus ensemble.
Fonction : Le centurion, équivalent approximatif de l’officier subalterne moderne (disons, de lieutenant à chef de bataillon – voir les grades ci-dessous), commande* donc, à la base, une centurie, où il est assisté par des sous-officiers (principales) notamment l'optio (du sens de « choix », car choisi par le centurion), sorte d’adjudant (de adjuvare, « aider »). Le centurion prior (voir ci-dessous), commandant l'unité tactique élémentaire, à savoir le manipule (constitué de deux centuries), ou le centurion à la tête d'une centurie double de la première cohorte, dispose, en outre, d'un tesserarius, une ordonnance responsable de la tessera (tablette d’instructions et de consignes), d'un signifer (de signum, « enseigne », et ferre, « porter »), « porte-enseigne », d'un tubicen, « trompette », et d'un cornicen, « corniste », afin de transmettre les ordres visuels et sonores à la troupe sur le terrain.
* A noter que les cent vingt cavaliers légionnaires obéissent à des centurions et non à des décurions comme les cavaliers auxiliaires.
Sur le champ de bataille, le centurion, entouré, s'il est prior ou de la première cohorte, du porte-enseigne et des musiciens, se tient, non devant le premier rang, mais à sa droite, tandis que l’optio reste derrière l’unité en vue de garantir la bonne transmission des ordres et d’éviter des replis intempestifs !
Végèce, dans Epitoma rei militaris, précise que l’on choisit pour centurion un homme robuste, de haute taille, qui sache lancer adroitement et avec force les javelots et les dards, manier parfaitement l'épée et se servir avec dextérité du bouclier ; qui soit vigilant, actif, plus prompt à exécuter les ordres de ses supérieurs qu'à discourir ; qui soit maître de soi ; qui discipline et exerce* ses soldats ; qui ait soin qu'ils soient bien chaussés et bien habillés, et que leurs armes soient toujours nettes et brillantes. Ajoutons que le centurion, dont l’autorité est symbolisée par le cep de vigne (vitis), doit évidemment maîtriser l'écrit pour bien comprendre les ordres et communiquer les renseignements, et être suffisamment instruit pour bien évaluer toutes les situations.
* En dehors des combats, le légionnaire, soigneusement sélectionné, bien formé militairement (tiro, « apprenti » pendant quatre mois), toujours occupé à quelque tâche, s'entraîne pratiquement chaque jour (gymnastique, athlétisme, natation, maniement des armes, exercices collectifs) ; au moins trois fois par mois, il participe à des manoeuvres d'ensemble, et effectue des marches de trente kilomètres en cinq heures avec une charge de cinquante kilos (vingt kilos d'armement défensif et offensif, et trente kilos d'équipement, outils et vivres), dépensant plus de cinq mille calories quotidiennes, soit l'énergie d'un sportif de haut niveau actuel (Le Bohec). Si les soldats sont polyvalents, nombreux sont les spécialistes (génie, artillerie, poliorcétique ou art des sièges, etc.) qui entretiennent régulièrement leurs techniques savantes.
Grades : Selon l’ancienneté et le mérite, on distingue, dans l’ordre ascendant, le centurion hastatus (de hasta, « lance ») posterior (« derrière, au-dessous ») ; le centurion hastatus prior (« devant, au-dessus ») ; le centurion princeps (« premier en qualité ») posterior ; le centurion princeps prior ; le centurion pilus (de pilum, « javelot ») posterior ; le centurion pilus prior, lesquels commandent les six centuries de chacune des cohortes (« bataillons ») II à X de la légion, les centurions priores étant à la tête des manipules, le centurion pilus prior étant à celle de la cohorte. Quant à la première d'entre elles, unité d’élite, elle ne comporte que cinq centuries, mais à effectif double. Si la cinquième, la quatrième, la troisième et la deuxième centuries sont commandées respectivement par un centurion hastatus posterior, hastatus prior, princeps posterior, princeps prior, la première est commandée par un centurion primus pilus ou primipilus, le plus haut grade de centurion, qui dirige cette cohorte de plus de huit cents hommes. D’après Tacite (Historiae), il y a souvent un second centurion primipile (primipilus bis), âgé, attaché à l’état-major de la légion (consilium), où l’historien romain compte donc soixante centurions au total.
En outre, dans De bello gallico et De bello civili, Jules César établit une hiérarchie entre les centurions de la première cohorte (primi ordines, « premiers rangs »), les centurions des cohortes II à V (superiores ordines, « rangs supérieurs »), les centurions des cohortes VI à IX (inferiores ordines, « rangs inférieurs ») et les centurions de la dixième cohorte (infimi ordines, « rangs les plus bas »). C'est pourquoi les historiens actuels se demandent toujours comment un centurion hastatus posterior de la dixième cohorte pouvait, dans une carrière, devenir primipilus s'il devait passer par tous les grades intermédiaires. Pour ma part, il me semble que Jules César répond à cette question lorsque, dans De bello gallico, V, 44, faisant état de la rivalité entre deux centurions (voir l'anecdote plus bas), il écrit : Hi perpetuas inter se controversias habebant quinam anteferretur omnibusque annis de locis summis simultatibus contendebant. (Ma traduction : « Ils s’opposaient constamment sur le point de savoir lequel serait promu avant l’autre et, chaque année, le tableau d'avancement les mettait en violent conflit. ») Ainsi, l'on peut supposer que, chaque année, un centurion avait la possibilité d'être promu à un grade supérieur ou de rester au même grade, mais à un rang plus élevé, voire de progresser plus rapidement en fonction des vacances de postes, dues aux pertes.
En tout cas, participant aux réunions de l’état-major de la légion, le centurion primipile peut, en principe, accéder à l’ordre équestre, donc aux grades d’officiers supérieurs : tribun angusticlave (tribunus angusticlavius*, cinq à l’état-major de la légion), préfet d’aile (auxiliaire) (praefectus alae, deux par légion), préfet de camp (praefectus castrorum, un par légion), troisième officier supérieur après le légat (legatus legionis), commandant en chef, et le tribun laticlave (tribunus laticlavius*), son adjoint, tous deux de rang sénatorial.
* angusticlavius, de angustus, « étroit » ; laticlavius, de latus, « large », et de clavus, « bande de pourpre » (au bas de la toge).
PREMIERE COHORTE | centurions | COHORTES II à X | centurions |
1ère centurie | primipilus | 1ère centurie | pilus prior |
2e centurie | princeps prior | 2e centurie | pilus posterior |
3e centurie | princeps posterior | 3e centurie | princeps prior |
4e centurie | hastatus prior | 4e centurie | princeps posterior |
5e centurie | hastatus posterior | 5e centurie | hastatus prior |
6e centurie | hastatus posterior |
Hiérarchie des officiers dans la légion romaine | Traduction en français | Equivalents armée française |
legatus legionis | « légat de légion », rang sénatorial | général de division |
tribunus laticlavius | « tribun laticlave », rang sénatorial | général de brigade |
praefectus castrorum | « préfet de camp », rang équestre | colonel |
praefectus alae | « préfet d'aile » (cavalerie auxiliaire), rang équestre | lieutenant-colonel |
praefectus cohortis | « préfet de cohorte » (fantassins légers, archers, frondeurs), rang équestre | lieutenant-colonel |
tribunus angusticlavius | « tribun angusticlave » (état-major), rang équestre | lieutenant-colonel |
centurio primipilus | « centurion primipile » (1ère cohorte double d'élite ou état-major) | lieutenant-colonel |
centurio pilus prior | « centurion ancien en premier » | chef de bataillon |
centurio prior | « centurion en premier » | capitaine |
centurio posterior | « centurion en second » | lieutenant |
N.B. Rappelons que l’infanterie est souvent rangée en bataille sur trois rangs, la fameuse triplex acies avec quatre cohortes au premier rang (hastati), trois au second (principes) et au troisième (triarii), placées en damier avec des intervalles ménagés pour permettre les manœuvres, la cohorte étant l’équivalent du bataillon moderne.
Recrutement et avancement : Les centurions sont issus soit de la société civile s’ils sont, pour une petite minorité, fils de chevaliers romains ou, pour la grande majorité, fils de notables provinciaux, soit surtout du corps des sous-officiers (beaucoup d'optiones accèdent normalement au centurionat). Selon Tacite, sous le principat d’Auguste, un simple soldat peut espérer devenir centurion, mais cela peut lui prendre plus d’une quinzaine d’années. En tout cas, « plus on débute haut, plus on finit haut » (Le Bohec) et l’ascension de l’échelle hiérarchique se déroule la plupart du temps en fonction du milieu social d’origine : un centurion, fils de chevalier (ex equite romano), montera plus vite qu’un fils de notable. Certes, le mérite joue un certain rôle, mais secondaire !
Carrière : En général, un centurion effectue au moins vingt ans de service et change, en principe, de garnison tous les trois ou quatre ans.
Autre exemple de carrière de centurion, celle de Petronius Fortunatus, décédé à quatre-vingts ans après cinquante ans de service ! Engagé dans la 1ère légion Italica (où les recrues doivent mesurer au moins 1,80 m), il occupe successivement les postes de librarius, « secrétaire-comptable » (ce qui suppose une bonne éducation), tesserarius, signifer, puis, au bout de quatre ans, optio. Il est alors élu* centurion par ses camarades. Il sert ensuite pendant quarante-six ans dans tout l’empire au sein de la 6e légion Ferrata (« de fer », dite aussi fidelis constans par César !), de la 1ère légion Minervia, de la 10e légion Gemina, de la 2e légion Augusta, de la 3e légion Augusta, de la 3e légion Gallica, de la 30e légion Ulpia, de la 6e légion Victrix, de la 3e légion Cyrenaica, de la 15e légion Apollinaris, de la 2e légion Parthica, de la 1ère légion Aduitrix.
* Par acclamation des soldats (suffragium legionis), mais la décision finale appartient au commandement.
N.B. Les légions, formant des corps auxquels les soldats s’identifient (comme dans les régiments modernes), elles changent difficilement de numéro et, si elles portent le même, elles se distinguent par leur nom.
Statut : « Colonne vertébrale » de l’armée, les centurions, souvent très éduqués, bénéficient d’une position importante dans la société et jouissent d’une haute considération. En effet, dans le cadre des responsabilités civiles des militaires, ils peuvent administrer toute une région dans une province. Une fois à la retraite, ils deviennent fréquemment des notabilités dans leur ville, et c’est pourquoi certains chevaliers choisissent d’exercer cette fonction prestigieuse.
Modèles de bravoure : Durant la guerre des Gaules, des Romains sont assiégés par les Nerviens. Jules César raconte (De bello gallico, V, 44) : Il y avait, dans cette légion, deux centurions d’une grande bravoure, qui approchaient des premiers grades : Titus Pullo et Lucius Vorenus. Ils s’opposaient constamment sur le point de savoir lequel serait promu avant l’autre et, chaque année, le tableau d'avancement les mettait en violent conflit.
Comme l’on se battait avec acharnement devant les remparts, Pullo s’exclame : « Qu’attends-tu, Vorenus ? Quelle autre occasion de promotion espères-tu pour récompenser ta valeur ? Cette journée va décider entre nous ! » A ces mots, il s’élance hors du retranchement et fonce sur la ligne ennemie, là où elle est la plus dense. Vorenus ne reste pas plus longtemps derrière le rempart, et, redoutant de passer pour moins vaillant que son rival, il le suit de près.
Quand il n’est plus qu’à une courte distance de l’ennemi, Pullo jette son javelot et transperce un Gaulois qui s’est détaché de la masse pour courir sus ; le voyant grièvement blessé, ses compagnons le couvrent de leurs boucliers pendant que d’autres lancent leurs traits contre le Romain et l’empêchent d’avancer. Celui-ci a son bouclier traversé d’un javelot qui se plante dans le baudrier de son glaive : le coup déplace le fourreau au moment où sa main cherche à dégainer ; tandis qu’il tâtonne, l’ennemi l’enveloppe !
Cependant, son rival, Vorenus, accourt à son aide. Aussitôt, toute la multitude ennemie se retourne contre lui et laisse Pullo, croyant que le javelot l’a percé de part en part. Vorenus, le glaive au poing, lutte corps à corps, tue un adversaire, repousse les autres, mais, emporté par son ardeur, il tombe dans un creux. Cerné à son tour, il est alors secouru par Pullo.
Après avoir tué beaucoup d’ennemis, tous deux rentrent au camp, sains et saufs et couverts de gloire.
Ainsi, la Fortune traita ces rivaux de telle manière, qu’en dépit de leur rivalité, ils fussent amenés à s’entraider et à se sauver mutuellement la vie, et qu’il fût impossible de trancher la question de savoir à qui revenait la supériorité de la bravoure.
Modèles de dévouement : Jules César en donne un exemple lors de la bataille de Gergovie (De bello gallico, VII, 50) : Le corps à corps était acharné. […] Le centurion Marcus Petronius, écrasé par le nombre et couvert de blessures, voyant sa mort certaine, s'adressa aux hommes qui l'avaient suivi en ces termes : « Puisque je ne peux me sauver avec vous, je veux, du moins, préserver votre vie, que ma passion de la gloire a mise en péril. Songez à votre salut ; je vais vous en donner le moyen. » Ce disant, il se précipita au milieu des ennemis, en tua deux et réussit à dégager une issue. Ses hommes se portèrent à son secours, mais il refusa leur aide et leur enjoignit de se replier avant que ses forces ne le trahissent. Peu après, ayant perdu beaucoup de sang, il tomba les armes à la main pour assurer le salut des siens.
principales | sous-officiers | milites | soldats |
optio | adjudant, assistant du centurion | tiro | recrue à l'instruction |
signifer | porte-enseigne manipulaire, transmetteur d'ordres visuels | gregalis ou munifex | « troupier » ou, plus valorisant, « qui fait son devoir » |
tubicen et cornicen | trompette et corniste manipulaires, transmetteurs d'ordres sonores | immunis | « exempt » (de corvées), soldat de première classe |
tesserarius | ordonnance, transmetteur d'instructions écrites | cornicularius | soldat distingué par des cornes au casque, attaché à un officier |
N.B. La hiérarchie des grades de sous-officiers est définie par le montant de la solde : une fois et demie (sous-officier sesquiplicarius ou sesquiplaris), deux fois (duplicarius ou duplaris) ou trois fois (triplicarius ou triplaris) la solde de base (simplaris). Ainsi un signifer, qui transmet les ordres sur le terrain, est-il bien au-dessus d'un tesserarius, qui se contente d'apporter la tablette des consignes et le mot de passe.
doctor cohortis | instructeur de cohorte |
doctor armaturae | maître d'armes |
doctor ballistae | instructeur d'artillerie |
ballistarius | artilleur |
librator | géomètre et pointeur d'artillerie |
mensor | arpenteur et réparateur de machines de guerre |
metator | mesureur et organisateur du camp |
proculcator | soldat d'avant-garde |
explorator | éclaireur |
PROTECTION : casque (galea) en acier*, offrant une protection quasi complète de la tête et du cou tout en laissant vision et audition dégagées ; armure de plates d'acier articulées (lorica segmentata), paradoxalement moins lourde que la cotte de mailles (lorica hamata) - max. huit/neuf kilos contre dix à douze - , mais aussi moins flexible et confortable, quoique davantage protectrice, et se dégradant moins vite que la cuirasse à écailles de cuivre (lorica squamata) ; bouclier (scutum) semi-cylindrique en bois recouvert de cuir et bordé de laiton, d'un mètre de haut sur quatre-vingts centimètres de large, d'une épaisseur de cinq centimètres, avec bosse centrale (umbo) en acier, pesant env. six kilos ; ARMEMENT : glaive (gladius, de type « Pompei », vu la poignée et le pommeau sur l'illustration) avec une lame droite en acier, longue de cinquante centimètres, large de cinq, extrêmement bien équilibré pour frapper aussi bien de taille que d'estoc (même si l'estoc, plus létal et découvrant moins le bras, est préféré) ; dague (pugio) avec une lame droite en acier de trente centimètres ; javelot (pilum) VOIR NOTE.
* A cette époque, l'acier, composé de fer et de carbone, est produit dans des bas-fourneaux où le carbone du charbon de bois se dissout dans le fer (cémentation). Le métal en fusion, jeté ensuite dans de l'eau ou de l'huile, donne de l'acier trempé. Plus on laisse le four se refroidir lentement, plus le carbone se diffuse dans le fer, permettant d'obtenir une teneur élevée, donc de l'acier extradur à 1,5 ou 2% de carbone, que les Romains appellent « fer indien » (ferrum indicum).
Maîtres dans la poliorcétique ou art des sièges, les Romains ne sont pas moins supérieurs dans la bataille en rase campagne. Tout d'abord, ils cherchent à désorganiser et à démoraliser l'ennemi au préalable par une préparation d'artillerie (catapultes et balistes, projetant des pierres ou de grosses flèches qui percent un bouclier à quatre cents mètres), complétée, au plus près, par l'action des archers et frondeurs, parfois à cheval. Ensuite, précédées par les fantassins légers, auxiliaires et vélites, qui engagent et harcèlent l'ennemi sur tout le front, encadrées par les ailes de cavaliers, les deux premières lignes de la légion se lancent successivement à l'assaut en ordre et en manoeuvrant, la troisième ligne demeurant en réserve. Le général utilise le terrain et l'articulation de ses troupes afin d'en diriger le gros vers le point adverse qu'il estime le plus faible. Si l'ennemi envoie des projectiles, les soldats romains se protègent en faisant la tortue (boucliers verticaux et serrés au premier rang ; boucliers horizontaux et rassemblés au-dessus des têtes aux rangs suivants), procédé efficace, mais requérant un long entraînement pour être exécuté en marchant. Parvenus à une vingtaine de mètres de leurs adversaires, les légionnaires jettent alors leur javelot avec force et adresse, puis combattent au corps à corps avec leur glaive et aussi leur bouclier, arme à la fois défensive et offensive (bosse centrale et bords métalliques). L'infanterie demeurant la « reine de la bataille », la cavalerie ne joue généralement qu'un rôle secondaire : elle n'intervient que pour éviter ou effectuer un débordement, et, en cas de victoire décisive, poursuivre les fuyards.
Les contempteurs de l’armée romaine font penser aux contempteurs de l’armée napoléonienne : si l’on épouse leur thèse, on ne comprend plus comment ces armées ont pu, avec tant de défauts et si peu de qualités, remporter autant de victoires et conquérir autant de territoires. Bien sûr, l’armée romaine n’a jamais été parfaite ; elle a forcément connu des problèmes (désertions, mutineries, défaites, etc.), surtout pendant les guerres civiles et à partir de la crise du IIIe siècle apr. J.-C. ; toutefois, elle a été globalement très efficace et victorieuse durant des siècles face à des ennemis multiples, certes souvent moins évolués et divisés, mais aussi souvent puissants, bien organisés et équipés. En fait, l’armée romaine s’est longtemps montrée nettement supérieure à ses adversaires, notamment par le sentiment de mener des guerres justes*1, le refus de s’avouer vaincue, la capacité de tirer les leçons des échecs et de s’adapter, la compétence du commandement*2, la sévérité de la sélection, la discipline de fer, l’exercice systématique, l’organisation souple au combat, le sens de la manœuvre, la qualité de l'armement, les machines de guerre et la poliorcétique, la logistique, les routes, les fortifications et le travail acharné. Bien après sa disparition, elle est demeurée une armée modèle, et les barbares ont mis du temps avant de briser la force des légions qui ont su venir à bout, entre autres, du nombre, des éléphants, des chars de combat, des cavaliers cuirassés et des places les plus fortes !
*1 Bellum iustum piumque : non pas « guerre morale et pieuse », mais « guerre conforme au droit et à la religion » (Le Bohec).
*2 Contrairement à une idée reçue, les officiers supérieurs et généraux, d'origine équestre ou sénatoriale, sont, en général, très bien formés, moralement et physiquement, intellectuellement et militairement, par l'étude et l'exercice, et, avant d'obtenir un haut commandement, effectuent une sorte de stage au sein de la cohors amicorum (« suite de compagnons ») d'un grand chef et une longue période d'application comme tribuns angusticlaves ou laticlaves. Ainsi, les légats chargés de commander une légion, puis, éventuellement, plusieurs sont, le plus souvent, très compétents. Même Varus, à la tête des trois légions massacrées dans la gigantesque embuscade des Germains à Teutoburg en 9 apr. J.-C., selon Le Bohec, « un aristocrate sévère, rapace et naïf », haï de la population, trompé par le chef germain Arminius, ancien officier romain, n'était pas vraiment incompétent.
Liste et position des trente-trois légions au début du IIIe siècle apr. J.-C. (de l'Afrique à l'Espagne dans le sens contraire des aiguilles d'une montre).
Selon Philippe Tarel dans La naissance du christianisme (Ellipses, 2023), il n’y a, en Judée, à la veille de la révolte de 66 apr. J.-C., que des troupes auxiliaires recrutées parmi les habitants non juifs de Palestine, et concentrées autour de Césarée : cinq cohortes d’infanterie, dont une à Jérusalem, et une aile de cavalerie, sans doute quingénaires*, soit environ trois mille hommes au maximum (effectifs théoriques).
* Les unités auxiliaires milliaires étant, d’après Le Bohec, fort rares avant l’époque des Flaviens, c’est-à-dire avant 69 apr. J.-C.
Dans la Bible*, quatre centurions chrétiens ou favorables aux chrétiens sont mentionnés.
* Citations tirées de la Bible, traduction liturgique (Salvator, 2021).
Evangile selon saint Luc.
7. La foi du centurion.
Lorsque Jésus […] entra dans Capharnaüm, il y avait un centurion [n° 1] dont un esclave était malade et sur le point de mourir ; or, le
centurion tenait beaucoup à lui. Ayant entendu parler de Jésus, il lui envoya des notables juifs pour lui demander de venir sauver son esclave. Arrivés
près de Jésus, ceux-ci le supplièrent instamment : « Il mérite que tu lui accordes cela ; il aime notre nation : c’est lui qui nous a
construit la synagogue. »
Jésus […] n’était plus loin de la maison quand le centurion envoya des amis lui dire : « Seigneur, ne prends pas cette peine, car je ne suis pas
digne que tu entres sous mon toit. C’est pourquoi je ne me suis pas autorisé à venir moi-même te trouver. Mais dis une parole, et que mon serviteur soit
guéri ! […] » Entendant cela, Jésus fut en admiration devant lui. Il se retourna et dit à la foule qui le suivait : « Je vous le
déclare, même en Israël, je n’ai pas trouvé une telle foi ! »
23. Crucifixion et mort de Jésus.
Au pied de la croix, le centurion [n° 2], chef des soldats, déclara : « Celui-ci était réellement un homme juste. »
Actes des apôtres.
10. Vision de Corneille, centurion romain.
Il y avait à Césarée un homme du nom de Corneille, centurion [n° 3] de la cohorte appelée Italique. C’était quelqu’un de grande piété qui craignait Dieu […] ; il faisait de larges aumônes au peuple juif et priait Dieu sans cesse. Un jour, il eut la vision d’un ange qui lui demanda de faire venir de Jaffa un certain Simon surnommé Pierre. Celui-ci lui confirma qu’il serait sauvé, lui et toute sa maison croyante.
27. Les débuts du voyage pour Rome.
[…] on a confié Paul et quelques autres prisonniers à un centurion [n° 4] nommé Julius de la cohorte Augusta. Après un naufrage, le bateau s’étant échoué sur un banc de sable, les soldats ont eu alors l’intention de tuer les prisonniers pour éviter que l’un deux s’enfuie à la nage. Mais le centurion, voulant sauver Paul, les a empêchés de réaliser leur projet ; il a ordonné de gagner la terre : à ceux qui savaient nager, en se jetant à l’eau les premiers ; aux autres, soit sur des planches, soit sur des débris du bateau. C’est ainsi que tous sont parvenus à terre sains et saufs.
La cavalerie romaine en Gaule avant les grandes invasions de 406
La romanisation des Allobroges