Le centurion romain aux Ier et IIe siècles

Le centurion romain aux Ier et IIe siècles

Page modifiée et augmentée le 1er mars 2024.



Enseignes de la légion romaine. Source : Florida Center for Instructional Technology. SPQR : Senatus PopulusQue Romanus (« le sénat et le peuple romain »).

Brandissant ses enseignes, la légion romaine marche sur l'ennemi, boucliers en avant, dans un ordre et un silence impressionnants, alors que les barbares gesticulent, crient et entrechoquent leurs armes, puis se lance à l'assaut en poussant son formidable cri de guerre, ce terrifiant mugissement (terrificus fremitus). Clamor, quem barritum vocant, prius non debet adtolli quam acies utraque se junxerit. (Ma traduction : « Le cri de guerre, qu'on qualifie de barrissement, ne doit pas s'élever avant que les deux lignes de bataille ne soient au contact. »)

En général, c'est une fois l'ennemi désorganisé et affaibli par une pluie de pierres et de flèches, tirées par les catapultes, les balistes, les archers et les frondeurs, que les légionnaires s'avancent, projettent d'abord leur javelot avec force, puis combattent au corps à corps avec leur glaive et aussi leur bouclier.

Végèce (Epitoma rei militaris, livre III, chapitre 18)

Qui desiderat pacem praeparet bellum (« Celui qui désire la paix devrait préparer la guerre ») devenu SI VIS PACEM PARA BELLUM (« Si tu veux la paix, prépare la guerre »).

Végèce (Epitoma rei militaris, livre III, prologue)

Etre « romain », c'est avoir, en amont de soi, un classicisme à imiter et, en aval de soi, une barbarie à soumettre.

Rémi Brague

Virtus [« maîtrise de soi, discipline, courage »], pietas [« respect de l'ordre du monde et de la cité »], fides [« bonne foi, fidélité aux engagements, à la parole donnée »], tel est l'idéal romain. Cette trilogie domine tous les aspects de la vie [...].

Pierre Grimal



Source : Luc Viatour, Boulogne, sous licence Wikimedia Commons.

Centurion romain aux Ier et IIe siècles.

TENUE : brodequins (calcei), tunique (tunica) ; PROTECTION : casque à crête transversale (galea cristata - crista transversa), cotte de mailles (lorica hamata) portant décorations : phalères (phalerae, « plaques ») et torques (torques, « colliers »), jambières (ocreae), bouclier (scutum) avec bosse centrale (umbo) ; ARMEMENT : glaive (gladius, que le centurion porte à gauche, attaché à un ceinturon, cingulum ou cinctorium, et non à droite, attaché à un baudrier, balteus, comme le simple légionnaire, voir plus bas), dague (pugio, portée à droite).



Le centurion de la légion romaine aux Ier et IIe siècles



En 69 apr. J.-C., année de guerres civiles romaines à la suite de la mort de Néron, au moment où Vitellius, ayant vaincu Othon, est encore empereur, avant que Vespasien, petit-fils d’un centurion, ne restaure l’ordre dans l’empire, la 14e légion Gemina Martia Victrix, envoyée en Bretagne (Angleterre actuelle), traverse les Alpes par le col du Petit Saint-Bernard et, à Ad Publicanos (Conflans/Albertville), se divise : une moitié passe par Lemincum (Chambéry), l’autre par Boutae (Annecy). En fait peut-être partie le centurion Marcus Aurelius Lucillus, décédé à soixante ans après quarante ans de carrière militaire (!), qui a servi à la 1ère légion Aduitrix, puis à la 2e légion Traiana, à la 8e légion Augusta, à la 14e légion Gemina Martia Victrix, à la 7e légion Claudia, à la 7e légion Gemina (de geminus, « double, composé de deux éléments », c’est-à-dire une légion formée à partir de deux autres).


Mais qu’est-ce exactement qu’un centurion de la légion romaine aux Ier et IIe siècles ?


Etymologie : Du latin centurio, de centum, « cent », et de centuria, « centurie », terme d’origine étrusque (d’après Sextus Pompeius Festus, dit « Festus Grammaticus », lexicographe et philologue romain du IIe siècle), qui désigne une division civile d’une centaine de citoyens dans le cadre des comices (assemblées) centuriates, et, dans l’armée, une centaine de soldats (milites) avant de s’appliquer exclusivement à des fantassins (pedites), les cavaliers (equites) étant organisés en pelotons d'une trentaine d'hommes (turmae). En fait, l’effectif de la centurie ayant varié dans le temps, le mot n’a plus eu qu’un rapport étymologique avec « cent » et ne qualifie finalement qu’un type d’unité militaire sur le plan organique, car c’est au sein de celle-ci que s’effectue le recrutement.

Dans la légion romaine du Haut-Empire, une centurie comprend en principe quatre-vingts légionnaires, soit dix escouades (contubernia, de cum, « avec », et taberna, « cabane » – tabernaculum, « tente ») de huit hommes (contubernales, « camarades ») dormant sous la même tente ou dans la même chambrée et formant le groupe primaire de soldats soudés, cousus ensemble.


Fonction : Le centurion, équivalent approximatif de l’officier subalterne moderne (disons, de lieutenant à chef de bataillon –  voir les grades ci-dessous), commande* donc, à la base, une centurie, où il est assisté par des sous-officiers (principales) notamment l'optio (du sens de « choix », car choisi par le centurion), sorte d’adjudant (de adjuvare, « aider »). Le centurion prior (voir ci-dessous), commandant l'unité tactique élémentaire, à savoir le manipule (constitué de deux centuries), ou le centurion à la tête d'une centurie double de la première cohorte, dispose, en outre, d'un tesserarius, une ordonnance responsable de la tessera (tablette d’instructions et de consignes), d'un signifer (de signum, « enseigne », et ferre, « porter »), « porte-enseigne », d'un tubicen, « trompette », et d'un cornicen, « corniste », afin de transmettre les ordres visuels et sonores à la troupe sur le terrain.

* A noter que les cent vingt cavaliers légionnaires obéissent à des centurions et non à des décurions comme les cavaliers auxiliaires.

Sur le champ de bataille, le centurion, entouré, s'il est prior ou de la première cohorte, du porte-enseigne et des musiciens, se tient, non devant le premier rang, mais à sa droite, tandis que l’optio reste derrière l’unité en vue de garantir la bonne transmission des ordres et d’éviter des replis intempestifs !

Végèce, dans Epitoma rei militaris, précise que l’on choisit pour centurion un homme robuste, de haute taille, qui sache lancer adroitement et avec force les javelots et les dards, manier parfaitement l'épée et se servir avec dextérité du bouclier ; qui soit vigilant, actif, plus prompt à exécuter les ordres de ses supérieurs qu'à parler ; qui soit maître de soi ; qui discipline et exerce* ses soldats ; qui ait soin qu'ils soient bien chaussés et bien habillés, et que leurs armes soient toujours nettes et brillantes. Ajoutons que le centurion, dont l’autorité est symbolisée par le cep de vigne (vitis), doit évidemment savoir lire et écrire pour bien comprendre les ordres et communiquer les renseignements, et être suffisamment instruit pour bien évaluer toutes les situations.

* En dehors des combats, le légionnaire, soigneusement sélectionné, bien formé militairement (tiro, « apprenti » pendant quatre mois), toujours occupé à quelque tâche, s'entraîne pratiquement chaque jour (gymnastique, athlétisme, natation, maniement des armes, exercices collectifs) ; au moins trois fois par mois, il participe à des manoeuvres d'ensemble, et effectue des marches de trente kilomètres en cinq heures avec une charge de cinquante kilos (vingt kilos d'armement défensif et offensif, et trente kilos d'équipement, outils et vivres), dépensant plus de cinq mille calories quotidiennes, soit l'énergie d'un sportif de haut niveau actuel (Le Bohec). Si les soldats sont polyvalents, nombreux sont les spécialistes (génie, artillerie, poliorcétique ou art des sièges, etc.) qui entretiennent régulièrement leurs techniques savantes.


Grades : Selon l’ancienneté et le mérite, on distingue, dans l’ordre ascendant, le centurion hastatus (de hasta, « lance ») posterior (« derrière, au-dessous ») ; le centurion hastatus prior (« devant, au-dessus ») ; le centurion princeps (« premier en qualité ») posterior ; le centurion princeps prior ; le centurion pilus (de pilum, « javelot ») posterior ; le centurion pilus prior, lesquels commandent les six centuries de chacune des cohortes (« bataillons ») II à X de la légion, les centurions priores étant à la tête des manipules, le centurion pilus prior étant à celle de la cohorte. Quant à la première d'entre elles, unité d’élite, elle ne comporte que cinq centuries, mais à effectif double. Si la cinquième, la quatrième, la troisième et la deuxième centuries sont commandées respectivement par un centurion hastatus posterior, hastatus prior, princeps posterior, princeps prior, la première est commandée par un centurion primus pilus ou primipilus, le plus haut grade de centurion, qui dirige cette cohorte de plus de huit cents hommes. D’après Tacite (Historiae), il y a souvent un second centurion primipile (primipilus bis), âgé, attaché à l’état-major de la légion (consilium), où l’historien romain compte donc soixante centurions au total.

En outre, dans De bello gallico et De bello civili, Jules César établit une hiérarchie entre les centurions de la première cohorte (primi ordines, « premiers rangs »), les centurions des cohortes II à V (superiores ordines, « rangs supérieurs »), les centurions des cohortes VI à IX (inferiores ordines, « rangs inférieurs ») et les centurions de la dixième cohorte (infimi ordines, « rangs les plus bas »). C'est pourquoi les historiens actuels se demandent toujours comment un centurion hastatus posterior de la dixième cohorte pouvait, dans une carrière, devenir primipilus s'il devait passer par tous les grades intermédiaires. Pour ma part, il me semble que Jules César répond à cette question lorsque, dans De bello gallico, V, 44, faisant état de la rivalité entre deux centurions (voir l'anecdote plus bas), il écrit : Hi perpetuas inter se controversias habebant quinam anteferretur omnibusque annis de locis summis simultatibus contendebant. (Ma traduction : « Ils s’opposaient constamment sur le point de savoir lequel serait promu avant l’autre et, chaque année, le tableau d'avancement les mettait en violent conflit. ») Ainsi, l'on peut supposer que, chaque année, un centurion avait la possibilité d'être promu à un grade supérieur ou de rester au même grade, mais à un rang plus élevé, voire de progresser plus rapidement en fonction des vacances de postes, dues aux pertes.

En tout cas, participant aux réunions de l’état-major de la légion, le centurion primipile peut, en principe, accéder à l’ordre équestre, donc aux grades d’officiers supérieurs : tribun angusticlave (tribunus angusticlavius*, cinq à l’état-major de la légion), préfet d’aile (auxiliaire) (praefectus alae, deux par légion), préfet de camp (praefectus castrorum, un par légion), troisième officier supérieur après le légat (legatus legionis), commandant en chef, et le tribun laticlave (tribunus laticlavius*), son adjoint, tous deux de rang sénatorial.

* angusticlavius, de angustus, « étroit » ; laticlavius, de latus, « large », et de clavus, « bande de pourpre » (au bas de la toge).

PREMIERE COHORTE centurions COHORTES II à X centurions
1ère centurie primipilus 1ère centurie pilus prior
2e centurie princeps prior 2e centurie pilus posterior
3e centurie princeps posterior 3e centurie princeps prior
4e centurie hastatus prior 4e centurie princeps posterior
5e centurie hastatus posterior 5e centurie hastatus prior
6e centurie hastatus posterior

Hiérarchie des officiers dans la légion romaine Traduction en français Equivalents armée française
legatus legionis « légat de légion », rang sénatorial général de division
tribunus laticlavius « tribun laticlave », rang sénatorial général de brigade
praefectus castrorum « préfet de camp », rang équestre colonel
praefectus alae « préfet d'aile » (cavalerie auxiliaire), rang équestre lieutenant-colonel
praefectus cohortis « préfet de cohorte » (fantassins légers, archers, frondeurs), rang équestre lieutenant-colonel
tribunus angusticlavius « tribun angusticlave » (état-major), rang équestre lieutenant-colonel
centurio primipilus « centurion primipile » (1ère cohorte double d'élite ou état-major) lieutenant-colonel
centurio pilus prior « centurion ancien en premier » chef de bataillon
centurio prior « centurion en premier » capitaine
centurio posterior « centurion en second » lieutenant

N.B. Rappelons que l’infanterie est souvent rangée en bataille sur trois rangs, la fameuse triplex acies avec quatre cohortes au premier rang (hastati), trois au second (principes) et au troisième (triarii), placées en damier avec des intervalles ménagés pour permettre les manœuvres, la cohorte étant l’équivalent du bataillon moderne.


Recrutement et avancement : Les centurions sont issus soit de la société civile s’ils sont, pour une petite minorité, fils de chevaliers romains ou, pour la grande majorité, fils de notables provinciaux, soit surtout du corps des sous-officiers (beaucoup d'optiones accèdent normalement au centurionat). Selon Tacite, sous le principat d’Auguste, un simple soldat peut espérer devenir centurion, mais cela peut lui prendre plus d’une quinzaine d’années. En tout cas, « plus on débute haut, plus on finit haut » (Le Bohec) et l’ascension de l’échelle hiérarchique se déroule la plupart du temps en fonction du milieu social d’origine : un centurion, fils de chevalier (ex equite romano), montera plus vite qu’un fils de notable. Certes, le mérite joue un certain rôle, mais secondaire !


Carrière : En général, un centurion effectue au moins vingt ans de service et change, en principe, de garnison tous les trois ou quatre ans.

Autre exemple de carrière de centurion, celle de Petronius Fortunatus, décédé à quatre-vingts ans après cinquante ans de service ! Engagé dans la 1ère légion Italica (où les recrues doivent mesurer au moins 1,80 m), il occupe successivement les postes de librarius, « secrétaire-comptable » (ce qui suppose une bonne éducation), tesserarius, signifer, puis, au bout de quatre ans, optio. Il est alors élu* centurion par ses camarades. Il sert ensuite pendant quarante-six ans dans tout l’empire au sein de la 6e légion Ferrata (« de fer », dite aussi fidelis constans par César !), de la 1ère légion Minervia, de la 10e légion Gemina, de la 2e légion Augusta, de la 3e légion Augusta, de la 3e légion Gallica, de la 30e légion Ulpia, de la 6e légion Victrix, de la 3e légion Cyrenaica, de la 15e légion Apollinaris, de la 2e légion Parthica, de la 1ère légion Aduitrix.

* Par acclamation des soldats (suffragium legionis), mais la décision finale appartient au commandement.

N.B. Les légions, formant des corps auxquels les soldats s’identifient (comme dans les régiments modernes), elles changent difficilement de numéro et, si elles portent le même, elles se distinguent par leur nom.


Statut : « Colonne vertébrale » de l’armée, les centurions, souvent très éduqués, bénéficient d’une position importante dans la société et jouissent d’une haute considération. En effet, dans le cadre des responsabilités civiles des militaires, ils peuvent administrer toute une région dans une province. Une fois à la retraite, ils deviennent fréquemment des notabilités dans leur ville, et c’est pourquoi certains chevaliers choisissent d’exercer cette fonction prestigieuse.



Modèles de bravoure : Durant la guerre des Gaules, des Romains sont assiégés par les Nerviens. Jules César raconte (De bello gallico, V, 44) : Il y avait, dans cette légion, deux centurions d’une grande bravoure, qui approchaient des premiers grades : Titus Pullo et Lucius Vorenus. Ils s’opposaient constamment sur le point de savoir lequel serait promu avant l’autre et, chaque année, le tableau d'avancement les mettait en violent conflit.

Comme l’on se battait avec acharnement devant les remparts, Pullo s’exclame : « Qu’attends-tu, Vorenus ? Quelle autre occasion de promotion espères-tu pour récompenser ta valeur ? Cette journée va décider entre nous ! » A ces mots, il s’élance hors du retranchement et fonce sur la ligne ennemie, là où elle est la plus dense. Vorenus ne reste pas plus longtemps derrière le rempart, et, redoutant de passer pour moins vaillant que son rival, il le suit de près.

Quand il n’est plus qu’à une courte distance de l’ennemi, Pullo jette son javelot et transperce un Gaulois qui s’est détaché de la masse pour courir sus ; le voyant grièvement blessé, ses compagnons le couvrent de leurs boucliers pendant que d’autres lancent leurs traits contre le Romain et l’empêchent d’avancer. Celui-ci a son bouclier traversé d’un javelot qui se plante dans le baudrier de son glaive : le coup déplace le fourreau au moment où sa main cherche à dégainer ; tandis qu’il tâtonne, l’ennemi l’enveloppe !

Cependant, son rival, Vorenus, accourt à son aide. Aussitôt, toute la multitude ennemie se retourne contre lui et laisse Pullo, croyant que le javelot l’a percé de part en part. Vorenus, le glaive au poing, lutte corps à corps, tue un adversaire, repousse les autres, mais, emporté par son ardeur, il tombe dans un creux. Cerné à son tour, il est alors secouru par Pullo.

Après avoir tué beaucoup d’ennemis, tous deux rentrent au camp, sains et saufs et couverts de gloire.

Ainsi, la Fortune traita ces rivaux de telle manière, qu’en dépit de leur rivalité, ils fussent amenés à s’entraider et à se sauver mutuellement la vie, et qu’il fût impossible de trancher la question de savoir à qui revenait la supériorité de la bravoure.


Modèles de dévouement : Jules César en donne un exemple lors de la bataille de Gergovie (De bello gallico, VII, 50) : Le corps à corps était acharné. […] Le centurion Marcus Petronius, écrasé par le nombre et couvert de blessures, voyant sa mort certaine, s'adressa aux hommes qui l'avaient suivi en ces termes : « Puisque je ne peux me sauver avec vous, je veux, du moins, préserver votre vie, que ma passion de la gloire a mise en péril. Songez à votre salut ; je vais vous en donner le moyen. » Ce disant, il se précipita au milieu des ennemis, en tua deux et réussit à dégager une issue. Ses hommes se portèrent à son secours, mais il refusa leur aide et leur enjoignit de se replier avant que ses forces ne le trahissent. Peu après, ayant perdu beaucoup de sang, il tomba les armes à la main pour assurer le salut des siens.



Sous-officiers et soldats de la cohorte légionnaire aux Ier et IIe siècles



principales sous-officiers milites soldats
optio adjudant, assistant du centurion tiro recrue à l'instruction
signifer porte-enseigne manipulaire, transmetteur d'ordres visuels gregalis ou munifex « troupier » ou, plus valorisant, « qui fait son devoir »
tubicen et cornicen trompette et corniste manipulaires, transmetteurs d'ordres sonores immunis « exempt » (de corvées), soldat de première classe
tesserarius ordonnance, transmetteur d'instructions écrites cornicularius soldat distingué par des cornes au casque, attaché à un officier

N.B. La hiérarchie des grades de sous-officiers est définie par le montant de la solde : une fois et demie (sous-officier sesquiplicarius ou sesquiplaris), deux fois (duplicarius ou duplaris) ou trois fois (triplicarius ou triplaris) la solde de base (simplaris). Ainsi un signifer, qui transmet les ordres sur le terrain, est-il bien au-dessus d'un tesserarius, qui se contente d'apporter la tablette des consignes et le mot de passe.



Quelques spécialistes de la cohorte légionnaire aux Ier et IIe siècles



doctor cohortis instructeur de cohorte
doctor armaturae maître d'armes
doctor ballistae instructeur d'artillerie
ballistarius artilleur
librator géomètre et pointeur d'artillerie
mensor arpenteur et réparateur de machines de guerre
metator mesureur et organisateur du camp
proculcator soldat d'avant-garde
explorator éclaireur



Légionnaire romain aux Ier et IIe siècles.

PROTECTION : casque (galea) en acier*, offrant une protection quasi complète de la tête et du cou tout en laissant vision et audition dégagées ; armure de plates d'acier articulées (lorica segmentata), paradoxalement moins lourde que la cotte de mailles (lorica hamata) -  max. huit/neuf kilos contre dix à douze - , mais aussi moins flexible et confortable, quoique davantage protectrice, et se dégradant moins vite que la cuirasse à écailles de cuivre (lorica squamata) ; bouclier (scutum) semi-cylindrique en bois recouvert de cuir et bordé de laiton, d'un mètre de haut sur quatre-vingts centimètres de large, d'une épaisseur de cinq centimètres, avec bosse centrale (umbo) en acier, pesant env. six kilos ; ARMEMENT : glaive (gladius, de type « Pompei », vu la poignée et le pommeau sur l'illustration) avec une lame droite en acier, longue de cinquante centimètres, large de cinq, extrêmement bien équilibré pour frapper aussi bien de taille que d'estoc (même si l'estoc, plus létal et découvrant moins le bras, est préféré) ; dague (pugio) avec une lame droite en acier de trente centimètres ; javelot (pilum) VOIR NOTE.

* A cette époque, l'acier, composé de fer et de carbone, est produit dans des bas-fourneaux où le carbone du charbon de bois se dissout dans le fer (cémentation). Le métal en fusion, jeté ensuite dans de l'eau ou de l'huile, donne de l'acier trempé. Plus on laisse le four se refroidir lentement, plus le carbone se diffuse dans le fer, permettant d'obtenir une teneur élevée, donc de l'acier extradur à 1,5 ou 2% de carbone, que les Romains appellent « fer indien » (ferrum indicum).



Erreur sur cette illustration : le simple légionnaire porte son glaive non à gauche, mais à droite, attaché à un baudrier (balteus), et non au ceinturon (cingulum ou cinctorium) comme les officiers.



Maîtres dans la poliorcétique ou art des sièges, les Romains ne sont pas moins supérieurs dans la bataille en rase campagne. Tout d'abord, ils cherchent à désorganiser et à démoraliser l'ennemi au préalable par une préparation d'artillerie (catapultes et balistes, projetant des pierres ou de grosses flèches qui percent un bouclier à quatre cents mètres), complétée, au plus près, par l'action des archers et frondeurs, parfois à cheval. Ensuite, précédées par les fantassins légers, auxiliaires et vélites, qui engagent et harcèlent l'ennemi sur tout le front, encadrées par les ailes de cavaliers, les deux premières lignes de la légion se lancent successivement à l'assaut en ordre et en manoeuvrant, la troisième ligne demeurant en réserve. Le général utilise le terrain et l'articulation de ses troupes afin d'en diriger le gros vers le point adverse qu'il estime le plus faible. Si l'ennemi envoie des projectiles, les soldats romains se protègent en faisant la tortue (boucliers verticaux et serrés au premier rang ; boucliers horizontaux et rassemblés au-dessus des têtes aux rangs suivants), procédé efficace, mais requérant un long entraînement pour être exécuté en marchant. Parvenus à une vingtaine de mètres de leurs adversaires, les légionnaires jettent alors leur javelot avec force et adresse, puis combattent au corps à corps avec leur glaive et aussi leur bouclier, arme à la fois défensive et offensive (bosse centrale et bords métalliques). L'infanterie demeurant la « reine de la bataille », la cavalerie ne joue généralement qu'un rôle secondaire : elle n'intervient que pour éviter ou effectuer un débordement, et, en cas de victoire décisive, poursuivre les fuyards.

Les contempteurs de l’armée romaine font penser aux contempteurs de l’armée napoléonienne : si l’on épouse leur thèse, on ne comprend plus comment ces armées ont pu, avec tant de défauts et si peu de qualités, remporter autant de victoires et conquérir autant de territoires. Bien sûr, l’armée romaine n’a jamais été parfaite ; elle a forcément connu des problèmes (désertions, mutineries, défaites, etc.), surtout pendant les guerres civiles et à partir de la crise du IIIe siècle apr. J.-C. ; toutefois, elle a été globalement très efficace et victorieuse durant des siècles face à des ennemis multiples, certes souvent moins évolués et divisés, mais aussi souvent puissants, bien organisés et équipés. En fait, l’armée romaine s’est longtemps montrée nettement supérieure à ses adversaires, notamment par le sentiment de mener des guerres justes*1, le refus de s’avouer vaincue, la capacité de tirer les leçons des échecs et de s’adapter, la compétence du commandement*2, la sévérité de la sélection, la discipline de fer, l’exercice systématique, l’organisation souple au combat, le sens de la manœuvre, la qualité de l'armement, les machines de guerre et la poliorcétique, la logistique, les routes, les fortifications et le travail acharné. Bien après sa disparition, elle est demeurée une armée modèle, et les barbares ont mis du temps avant de briser la force des légions qui ont su venir à bout, entre autres, du nombre, des éléphants, des chars de combat, des cavaliers cuirassés et des places les plus fortes !

*1 Bellum iustum piumque : non pas « guerre morale et pieuse », mais « guerre conforme au droit et à la religion » (Le Bohec).

*2 Contrairement à une idée reçue, les officiers supérieurs et généraux, d'origine équestre ou sénatoriale, sont, en général, très bien formés, moralement et physiquement, intellectuellement et militairement, par l'étude et l'exercice, et, avant d'obtenir un haut commandement, effectuent une sorte de stage au sein de la cohors amicorum (« suite de compagnons ») d'un grand chef et une longue période d'application comme tribuns angusticlaves ou laticlaves. Ainsi, les légats chargés de commander une légion, puis, éventuellement, plusieurs sont, le plus souvent, très compétents. Même Varus, à la tête des trois légions massacrées dans la gigantesque embuscade des Germains à Teutoburg en 9 apr. J.-C., selon Le Bohec, « un aristocrate sévère, rapace et naïf », haï de la population, trompé par le chef germain Arminius, ancien officier romain, n'était pas vraiment incompétent.



Sources principales


  • COSME, Pierre, L'armée romaine, VIIIe s. av. J.-C. - Ve s. ap. J.-C., Malakoff, Armand Colin, 2021.

  • GOLDSWORTHY, Adrian, The Complete Roman Army, London, Thames & Hudson, 2003.

  • LE BOHEC, Yann, L'armée romaine sous le Haut-Empire, Paris, Picard, 2014.

  • LE BOHEC, Yann, La vie quotidienne des soldats romains à l'apogée de l'Empire, Paris, Tallandier, 2020.

  • LE BOHEC, Yann, Les grands généraux de Rome... et les autres, Paris, Tallandier, 2022.



    La 14e légion, créée en 57 av. J.-C., participe, sous Jules César, à la conquête de la Gaule (notamment au siège d’Alésia en 52 av. J.-C.), puis à la guerre civile, en particulier, dans les batailles décisives de Pharsale en Thessalie contre Pompée (48 av. J.-C.) et de Thapsus en Afrique du Nord contre Metellus Scipion (46 av. J.-C.). Plus tard, sous Octave, elle combat en Sicile contre Sextus Pompée, puis à Actium contre Marc Antoine (31 av. J.-C.). Ayant subi de lourdes pertes, elle est recomplétée avec des unités de ce dernier, d’où son surnom de Gemina (de geminus, « double, composé de deux éléments »). Entre 13 av. J.-C., sous Auguste, et 16 apr. J.-C., sous Tibère, stationnée à Mogontiacum (Mayence), elle s’illustre dans les nombreuses campagnes contre les Germains. En 21 apr. J.-C., elle est envoyée en Gaule pour mater la rébellion des Turoni, à la suite de quoi elle est cantonnée à Aunedonacum (Aulnay-de-Saintonge) au moins jusqu’en 30. Son emblème est le capricorne et, sur cent légionnaires, on compte environ quatre-vingts Italiens, dix-sept Gaulois et trois Germains. A partir de 43, sous Claude, elle contribue à la soumission des peuples de Bretagne (Angleterre actuelle), puis, en 60, sous le commandement du gouverneur Suetonius, elle écrase la révolte menée par la reine des celtes bretons Iceni, Boadicea. Selon Tacite, la 14e légion Gemina acquiert, durant cette affaire, une grande réputation d’efficacité militaire et c’est à cette époque qu’elle a l’honneur d’ajouter à son surnom celui de Martia Victrix (« victorieuse grâce au dieu Mars »). En 67, Néron, qui l’apprécie particulièrement, la transfère en Pannonie en vue d’une offensive contre les Parthes, laquelle n’a finalement pas lieu. Après la mort de l’empereur, elle se bat, le 14 avril 69, à Bedacrium, en Italie du Nord, sous Othon contre Vitellius. Ce dernier, l’ayant emporté, punit la 14e légion en la renvoyant en Bretagne et c’est ainsi qu’une fois les Alpes franchies, elle passe moitié par Boutae (Annecy), moitié par Lemincum (Chambéry). Toutefois, dès l’automne 69, Vespasien, vainqueur de Vitellius, le 24 octobre, à la seconde bataille de Bedacrium, rappelle aussitôt cette excellente formation et la met aux ordres du général Cerialis pour plusieurs campagnes en Germanie. Parmi les forces dont celui-ci dispose afin de réprimer l'insurrection des Bataves, soit, en gros, une dizaine de légions, la 14e Martia Victrix, arrivée en été 70, est sans nul doute la plus redoutée des insurgés. Ensuite, la 14e légion est de nouveau stationnée à Mogontiacum (Mayence), où elle construit un grand pont de pierre sur le Rhin, puis à Vindobona (Vienne) avant de guerroyer, sous Trajan, contre les Daces. Sous Septime Sévère et sous Caracalla, elle lutte enfin contre les Parthes. Au début du Ve siècle, après de multiples péripéties, réduite à une seule cohorte, elle termine sa prestigieuse carrière à Carnuntum, capitale de la Pannonie (sise entre les villes actuelles de Vienne et de Bratislava), son camp de base depuis 114 apr. J.-C.


    Liste et position des trente-trois légions au début du IIIe siècle apr. J.-C. (de l'Afrique à l'Espagne dans le sens contraire des aiguilles d'une montre).

  • Source : LUTTWAK, Edward N., The Grand Strategy of the Roman Empire, Baltimore (USA), Johns Hopkins University Press, 2016.
  • 3e Augusta en Afrique (du Nord)
  • 2e Traiana en Egypte
  • 10e Fretensis et 6e Ferrata en Palestine
  • 3e Cyrenaica en Arabie
  • 3e Gallica en Syrie (nouvelle)
  • 4e Scythica et 16e Flavia en Syrie (ancienne)
  • 1ère et 3e Parthica en Mésopotamie
  • 15e Apollinaris et 12e Fulminata en Cappadoce (région de Turquie actuelle)
  • 1ère Italica et 11e Claudia en Mésie inférieure (en gros, Bulgarie actuelle)
  • 4e Flavia et 7e Claudia en Mésie supérieure (en gros, Serbie actuelle)
  • 5e Macedonica et 13e Gemina en Dacie (en gros, Roumanie actuelle)
  • 1ère et 2e Adiutrix en Pannonie inférieure (en gros, Hongrie, nord Bosnie et nord Serbie actuelles)
  • 10e et 14e Gemina en Pannonie supérieure (en gros, Hongrie, nord Croatie et est Autriche actuelles)
  • 2e Italica au Norique (en gros, ouest Autriche, nord Slovénie actuelles)
  • 3e Italica en Rhétie (en gros, est Suisse actuelle, Tyrol et sud Bavière)
  • 1ère Minervia et 30e Ulpia en Germanie supérieure
  • 8e Augusta et 22e Primigenia en Germanie inférieure
  • 2e Augusta en Bretagne (Angleterre actuelle) supérieure
  • 20e Valeria et 6e Victrix en Bretagne inférieure
  • 7e Gemina en Espagne
  • + 2e Parthica près de Rome




    La cavalerie romaine en Gaule avant les grandes invasions de 406


    La romanisation des Allobroges


    Annecy au temps des Romains


    Histoire de la ville d'Annecy




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