Annecy au temps des Romains ou la petite ville de Boutae

Annecy au temps des Romains ou la petite ville de Boutae

Page modifiée et augmentée le 16 avril 2024.



Source : Musées d'Annecy.

Tête en marbre de bacchante, prêtresse de Bacchus (trouvée en 1821 sur le site de Boutae).









La petite ville gallo-romaine de Boutae en bref

Quand ? Du Ier siècle av. J.-C. au Ve siècle apr. J.-C. (destruction par barbares)
Où ? Dans la plaine des Fins
Origine Bourgade gauloise (supposée) et gîte d'étape (certifié) de la poste romaine
Statut vicus, « bourg », sans droit de justice
Subordination Cité de Vienne, puis de Genève
Autorité Chef-lieu du pagus Apollinis, « d'Apollon »
Site Entre voies actuelles de Genève, des Iles et du Bel-Air
Superficie maximale Environ vingt-six hectares sur terroir propre de quelque cent quarante hectares
Population maximale Environ deux mille habitants (Ch. Marteaux), deux mille cinq cents (P. Broise)
Vie économique Places de marché, boutiques, ateliers d'artisans, importantes fonderies et forges, grande fabrique de poterie et vaste meunerie-boulangerie
Vie spirituelle, culturelle, sociale Temple, théâtre, thermes, forums...



Avant Annecy, la petite ville gallo-romaine de Boutae aux Ier et IIe siècles



Situation et statut

Description

Evolution

Habitants

Activités

Sécurité

Destruction



Situation et statut



Source : Musée virtuel des Pays de Savoie.



A la fin du Ier siècle av. J-C., dans la province romaine de Narbonnaise, au sein d’une région assez densément peuplée pour l’époque, sur la voie romaine qui mène d’Ad Publicanos (Conflans/Albertville) à Genua ou Genava (Genève) par Casuaria (Faverges), au nord du lac d’Annecy, au coeur de la plaine des Fins (de finis, « limite »), autour d’un gîte d’étape (mansio) utilisé par la poste impériale (vehicularius cursus, puis cursus publicus), se développe le bourg (vicus) de Boutae*, lequel bourg dépend administrativement de la cité (civitas) de Vienna (Vienne), colonie latine sous Auguste (et non sous César ainsi qu'on a longtemps cru), puis romaine sous Caligula, dont les citoyens romains sont inscrits à la tribu Voltinia. Gnaeus (prononcer Gnéousse) Domitius Annius Ulpianus, juriste romain du début du IIIe siècle, ajoute (Digeste, livre 50, titre I, § 30, « De eo qui ex vico ortus est ») : Qui ex vico ortus est eam patriam intellegitur habere cui rei publicae vicus ille respondet. (Ma traduction : « On admet que la personne qui est originaire d’un vicus a comme patrie la cité dont dépend ce vicus. » En effet, rei publicae, « de la chose publique », indique ici la cité tutélaire.)

* L'Itinéraire d'Antonin est le seul document mentionnant une appellation un tantinet différente : Ad Bautas, qui pourrait signifier « chez les Bouviers » dans la mesure où il est possible que ce toponyme, comme celui de Boutae, soit issu du nom d'un personnage gaulois connu dans l'épigraphie latine, Boutus, dont la racine celtique bou, « boeuf », fait peut-être référence à l'activité de bouvier d'un ancêtre. D’après Pierre Malvezin (Dictionnaire des racines celtiques, 1903), si l’on trouve bou, « bœuf », notamment en vieil irlandais et en ancien breton, « le latin a pu entrer en participation avec le celtique pour la formation de ce mot ». En effet, Alfred Ernout et Antoine Meillet (Dictionnaire étymologique de la langue latine, Klincksieck, 1ère édition 1932) rappellent que les dérivés du latin bos/bovis, « bœuf », sont en bou, et précisent que ce terme, présent dans les anciens dialectes du Latium, est plus largement indo-européen (langues celtiques, italiques, helléniques, etc.). Selon Michel Bréal et Anatole Bailly (Dictionnaire étymologique latin, Hachette, 1ère édition 1886), il viendrait du sanscrit via l'ancien grec.

Sextus Pompeius Festus, dit « Festus Grammaticus », lexicographe et philologue romain du IIe siècle, précise (De verborum significatione, livre XIX) : Ex vicis partim habent rempublicam et ius dicitur, partim nihil eorum et tamen ibi nundinae aguntur negoti gerendi causa, et magistri vici quotannis fiunt. (Ma traduction : « Parmi les bourgs, les uns ont le pouvoir politique et peuvent rendre la justice ; les autres n’ont rien de tout cela et, pourtant, des marchés s'y tiennent pour mener des affaires, et des magistrats vicinaux y sont élus tous les ans. ») Ainsi, il existe deux sortes de vici : ceux dotés de la res publica et, par conséquent, d'un tribunal, ayant donc un statut précédant celui de la cité, comme sans doute Genua/Genava (vicus important - un emporium, « place de commerce et dépôt de marchandises » -, devenu civitas à la fin du IIIe siècle), et ceux pourvus d'une simple administration sans droit de justice, comme probablement Boutae. En outre, Festus explique que le vicus, l’agglomération, se distingue du pagus, le district (cadre du cens : recensement quinquennal, et de l'impôt), dont il est le chef-lieu, les deux entités étant administrées par des magistri distincts (magistri vici et magistri pagi), mais également subordonnés aux magistratus de la cité mère. Boutae est le chef-lieu du pagus Apollinis (« d'Apollon »), car la présence du lac le placerait sous le patronage de ce dieu, assimilé au Borvo celte en tant que guérisseur associé à l'eau. Ce pagus est dirigé par un praefectus pagi (un « préfet »), tel un certain Gaius Ateius Peculiaris.

L'historien Michel Tarpin souligne (« Organisation politique et administrative des cités d’Europe occidentale sous l’Empire », Pallas, revue d’études antiques, 2009, n° 80) que « là où l’on possède suffisamment d’attestations de vici, comme dans la cité de Vienne, ceux-ci représentent un maillage assez régulier, qui paraît s’établir de préférence en fonction d’axes routiers relativement importants, [et] peut s’expliquer aussi bien par des nécessités matérielles, liées aux échanges, que par un fonctionnement institutionnel ». Henry d’Arbois de Jubainville, historien et philologue, rappelle (voir sources en bas de page, op. cit., page 9), pour clarifier, que « le sol de la cité se divise en pagi, et le pagus lui-même, dans le système romain, se subdivise en fundi [« domaines fonciers »]. Cette triple division du sol [cité, district, domaine foncier] est la base du cadastre et de l'impôt foncier romains. [...] Pour constituer un fundus, il faut une certaine étendue de terrain, officiellement délimitée, qu'on appelle ager, et, sur ce terrain, des bâtiments [d'habitation et d'exploitation] qu'on appelle villa [« propriété agricole »] ».



Boutae, à la fin du Haut-Empire, dans l'orbe de Genève (civitas Genavensium).



Description





Boutae, situé sur une légère hauteur qui le protège des éventuelles inondations, s’étend, en gros, dans le triangle délimité par les voies actuelles des avenues de Genève, des Iles et du chemin du Bel-Air (VOIR PLAN DE PIERRE BROISE CI-DESSOUS.) Dans sa plus grande extension, il couvre environ vingt-six hectares et compte de deux mille à deux mille cinq cents habitants.

A partir de la voie décumane méridionale (via decumana meridionalis), axe majeur large de neuf mètres (Éveha, 2021), orientée sud-est – nord-ouest, qui poursuit la route de Casuaria (Faverges) en suivant plus ou moins l’actuelle avenue des Iles, se déroulent trois voies cardinales (viae cardinales), distantes l'une de l'autre de quatre-vingts à quatre-vingt-dix mètres et larges de cinq mètres (P. Broise, 1984), orientées sud-ouest – nord-est : voie occidentale (longue de plus de six cents mètres), voie centrale (longue d'environ cinq cents mètres) et voie orientale (longue de près de quatre cents mètres), lesquelles rejoignent la route de Genua/Genava, parallèle à l’actuelle avenue de Genève. Sept ruelles latérales transversales (transversae vicinariae viae), larges de deux à trois mètres (P. Broise, 1984), relient la voie centrale à la voie orientale, tandis qu’une autre rue transversale, au nord, voie décumane septentrionale (via decumana septentrionalis), large de six mètres (Éveha, 2021), relie les trois voies cardinales, entre la basilique (basilica) civile et le grand forum (« place publique »). Toutes ces voies, pavées de galets du Fier, sous forme de cailloutis damé, longées de caniveaux et même d'égouts en bois pour les principales, découpent des îlots d’habitations (insulae) de qualité, de beaux édifices publics et de vastes places. La décumane méridionale est bordée de trottoirs en bois sous portiques (galeries ouvertes sur une rangée de colonnes au pied de chacune desquelles un braséro réchauffe l'air en hiver !).

Les maisons des boutiquiers et des artisans comportent une échoppe ou un atelier, une salle commune chauffée par un foyer mural garni de chenets, plusieurs petites chambres sur un ou deux étages, percées d’étroites fenêtres, au sol bétonné, et une courette avec un puits ; les demeures des notables, beaucoup plus spacieuses, confortables, luxueuses, comprennent une grande cour intérieure à péristyle et bassin, un jardin à l’arrière, de nombreuses et vastes pièces, aux fenêtres vitrées, au sol couvert de carreaux de terre cuite, parfois d’une mosaïque, sous lequel se répand la vapeur d’eau provenant des hypocaustes (fourneaux souterrains extérieurs), aux murs revêtus de stuc, voire de marbre, de panneaux décorés à fresque…

Le vicus est divisé en deux parties par la voie cardinale centrale : à l’est, le quartier le plus ancien, caractérisé par de nombreux ateliers d'artisans (fabri), au sud-est duquel se trouve un petit forum (cinquante mètres sur quarante, soit deux mille mètres carrés), avec le théâtre (theatrum) donnant sur la place actuelle des Romains, ainsi qu’un temple (templum) dédié à Mercure, la divinité la plus honorée dans la cité de Vienna ; à l’ouest, le quartier plus récent, caractérisé par de nombreuses boutiques (tabernae), au nord-est duquel se trouvent le grand forum (quatre-vingts mètres sur soixante, soit quatre mille huit cents mètres carrés), et la basilique civile (surtout lieu de réunions) avec la curie (curia) vicinale (sorte d’hôtel de ville, siège du conseil local des decemlecti, « dix notables », et des magistri vici, « magistrats du bourg »). Plus bas, au milieu de la voie cardinale centrale, on voit une vaste meunerie-boulangerie (pistrina), avec une réserve de grains, une batterie de meules et un four circulaire, puis, au-delà de la voie cardinale occidentale, au niveau de l'actuelle avenue des Romains, on découvre une nécropole avec son crématoire (ustrinum), puisque, jusqu'au IIIe siècle, en tout cas en Narbonnaise, la plupart des défunts sont incinérés, même si, le plus souvent, leurs ossements sont enterrés à part après avoir été lavés*.

* Crémation et inhumation se sont majoritairement succédé et toujours partiellement côtoyées dans l'empire romain sans aucune raison doctrinale, philosophique ou religieuse.

Comme il y a beaucoup de puits (une centaine), il n’a pas été nécessaire de construire un aqueduc. Néanmoins, le bourg possède des thermes (thermae), sis entre la meunerie et la nécropole sur plus de mille mètres carrés (trente-sept mètres sur vingt-huit), avec un vestiaire (apodyterium), un gymnase (palaestra) et des salles de bains (frigidarium, « bain froid » ; tepidarium, « bain tiède » ; caldarium, « bain chaud ») ainsi qu'une chaufferie (praefurnium). En outre, Caius Blaesius Gratus a offert une horloge publique (horologium) à eau (clepsydre), entretenue par un esclave, dans un édicule (oedicula) orné de statues et protégé par des grilles.

Sur le grand forum, bordé de boutiques sous portiques, la basilique (financée par Sextus Caprilius Atticianus), mesurant quarante-six mètres sur vingt-deux, couvrant près de douze cents mètres carrés, est constituée d’une grande salle ceinte d’une large galerie et flanquée au nord d’une salle plus petite, abritant la curie, et de deux autres pièces de part et d’autre.

Sur le petit forum, bordé d’ateliers, le théâtre (financé par Domitius Attillus), d’un diamètre de quarante-six mètres sur plus de seize cents mètres carrés, entouré d’un déambulatoire (ambulacrum, de ambulare, « marcher, se promener ») comporte une scène, une arrière-scène en pierre et des gradins en bois dans la cavea (pouvant accueillir mille spectateurs !).

A l'est, à l'emplacement du quartier de Galbert, des fouilles récentes ont dégagé les fondations d'un grand bâtiment rectangulaire de trente-six mètres sur dix-huit, sans doute un vaste entrepôt (horreum), celles d'une autre construction plus modeste, ainsi que des fours et des enclos, complexe qui dénote une activité artisanale et agricole dans un suburbium (« faubourg »). De nouvelles fouilles, au sud-est, fin 2021, puis au nord-est, début 2022, du grand forum, ont révélé différentes strates de voies, un soutènement de la décumane septentrionale et un grand nombre de scories de forge, de fragments de poterie, d'objets divers : pièces de monnaie et de vaisselle, strigile (racloir de toilette), miroir, instrument de chirurgie, etc. entre des pans de murs de maisons et d'ateliers, peut-être également de quelques tavernes, des popinae, où les gens du peuple vont boire et manger, soit debout au comptoir, dans lequel des jarres réchauffées par un fourneau sont encastrées, soit assis à des tables, sur lesquelles ils peuvent ensuite jouer aux dés...





Evolution



A la toute fin du Ier siècle av. J-C., la création de la voie impériale de Milan à Strasbourg, qui passe, à Boutae, par la cardinale orientale, provoque l'essor du vicus. Au début du siècle suivant, les constructions en pierre se multiplient ; le grand forum apparaît ; la cardinale centrale est ouverte, suivie, vers le milieu du siècle, par la cardinale occidentale ; dans le dernier tiers, les thermes sont construits. A la fin du Ier siècle apr. J-C., puis au cours du IIe, le bourg atteint sa plus grande extension vers l'ouest tandis que sa densité s'accroît au centre. Au milieu du IIe siècle, le grand forum est pavé, à la suite de quoi la basilique civile et le théâtre sont érigés.



Habitants



Certains historiens modernes n'attribuent l'appellation de vicani qu'aux magistrats du bourg alors que, d'après Cicéron et Tite-Live, ce terme désigne l'ensemble des habitants d’un vicus, en tout cas, au moins, les citoyens romains et latins, excluant les esclaves non affranchis et les pérégrins (étrangers) qui ne jouissent pas du droit de cité. En effet, Cicéron, dans son plaidoyer en faveur de Lucius Valerius Flaccus (Oratio pro Flacco, § 3), écrit : Tmolites ille vicanus, homo non modo nobis sed ne inter suos quidem notus, vos docebit qualis sit L. Flaccus (Ma traduction : « Ce villageois du Tmolus [montagne de Lydie], homme non seulement inconnu chez nous, mais même parmi les siens, vous apprendra-t-il qui est vraiment L. Flaccus ? ») Donc, si ce vicanus est inconnu parmi les siens, il ne peut être un magistrat du bourg ! Quant à Tite-Live, dans son histoire de Rome (Ab Urbe condita, livre XXXVIII, chapitre 30, § 8), il écrit : Vicani quique ibi exules habitabant primo inopinata re territi sunt. (Ma traduction : « Les villageois et tous les exilés qui vivaient dans ce lieu furent d'abord terrifiés par l'inattendu. ») Dans ce passage, le mot vicani désigne tous les habitants, car ce ne sont pas seulement les magistrats qui sont terrifiés !

A Boutae, dans le domaine onomastique, on relève les patronymes suivants : Atii, Blaesii, Caprilii, Coelii, Domitii, Drippii, Julii, Licinii, Pompeii, Rutilii, Sennii, Spurii, Tincii, Venicii, Verii, etc.

Rappelons que la société romaine est très hiérarchisée, fortement structurée par ordres, mais non par castes, car, jusqu’au IVe siècle, elle n’est pas fermée. S’il n’y a pas vraiment de « classe moyenne », au sens moderne de l’expression, même s'il existe une plebs media, une « plèbe moyenne » (couche supérieure des milieux populaires), on peut, certes plus ou moins difficilement, passer d’une condition juridique ou d’une catégorie sociale à une autre : un esclave peut être affranchi ; un pérégrin peut acquérir la citoyenneté ; un citoyen pauvre peut s’enrichir et accéder aux magistratures vicinales, à l’ordre municipal des décurions ; ceux-ci peuvent accéder à l’ordre équestre ; un chevalier peut accéder à l’ordre sénatorial, très restreint cependant (quelques centaines de membres pour tout l’empire, environ six mille personnes avec les familles sous les Antonins) et exigeant un cens considérable…

Voici un exemple d'une remarquable ascension sociale dans un bref extrait de l'épitaphe (inscription funéraire) d'un simple ouvrier agricole berbère, parvenu à un très haut rang au sein de sa cité de Mactaris en Afrique romaine vers 260-270 apr. J.-C. : « Je suis né dans une famille pauvre ; mon père n'avait ni revenu ni maison à lui. Depuis [mon enfance], j'ai toujours cultivé mon champ. Ma terre ni moi n'avons pris aucun repos. [...] J'étais le premier à couper mes chaumes [...], le premier à moissonner [...]. Pendant douze ans, j'ai moissonné pour autrui sous un soleil de feu ; pendant onze ans, j'ai commandé une équipe de moissonneurs [...]. A force de travailler dur, ayant su me contenter de peu, je suis enfin devenu propriétaire d'une maison et d'un domaine. Aujourd'hui, je vis dans l'aisance. J'ai même atteint les honneurs : j'ai été appelé à siéger au sénat de ma cité et, de petit paysan, je suis devenu censeur*. » (Cité par l'historien Marcel Le Glay, Grandeur et chute de l'Empire, Rome, tome II, éditions Perrin, 1992.)

* En fait, les termes sénat et censeur désignent, au sens strict, respectivement l'institution suprême et une magistrature supérieure de l'empire romain dans la ville de Rome ; au niveau d'une cité provinciale, les expressions correspondantes sont plus exactement conseil des décurions et duumvir quinquennal, chargé, tous les cinq ans, du recensement afin d'établir l'assiette de l'impôt.

De toute façon, malgré les inégalités, de très nombreuses, diverses et actives associations, toujours cultuelles et conviviales, souvent professionnelles (collegia, corpora, etc.), réunissent les habitants au-delà de leurs différences (un esclave peut adhérer avec l'autorisation de son maître) assurant ainsi le lien social et, comme l'on dit actuellement, le « vivre-ensemble », favorisant l'intégration, suscitant un sentiment de communauté et de respectabilité, pouvant même faire obtenir un certain prestige, voire déterminer la position dans la société locale, le rang de collegiatus étant de nature civique. (Cf. l'historien Nicolas Tran, Les Membres des associations romaines, Ecole française de Rome, 2006.)



Source : Musées de Paris.

Tête en bronze de magistrat du IIe siècle apr. J.-C. (trouvée en 1867 sur le site de Boutae).



Activités



Si, durant le Haut-Empire, Boutae demeure une simple bourgade, des maisons « à la romaine » attestent la présence de riches marchands ; le grand nombre d’outils retrouvés manifeste un artisanat florissant : carriers et tailleurs de pierres (calcaire de la Perrière et de Vovray, tuf, molasse et grès des collines environnantes), maçons, charpentiers (bois des Bauges et des Bornes), tuiliers (argile du Thiou et bois de la forêt de Chevesne), menuisiers, fondeurs, forgerons, serruriers, verriers (sable des Puisots), potiers qui fabriquent surtout des vases, des cruches et des jattes, tels ceux signés par Quintus Fabius Modestus dans une immense officine (figulina ou figlina), de cent mètres de long, sise au sud du petit forum, tabletiers (fabricants de coffrets et autres petits objets d'ameublement et de décoration), un sculpteur, un graveur, un orfèvre, un important meunier-boulanger, un chirurgien… Certains ateliers ont une envergure régionale, comme les fonderies et forges, qui témoignent d'une métallurgie* prospère.

* A cette époque, l'acier, composé de fer et de carbone, est produit dans des bas-fourneaux où le carbone du charbon de bois se dissout dans le fer (cémentation). Le métal en fusion, jeté ensuite dans de l'eau ou de l'huile, donne de l'acier trempé. Plus on laisse le four se refroidir lentement, plus le carbone se diffuse dans le fer, permettant d'obtenir une teneur élevée, donc de l'acier extradur à 1,5 ou 2% de carbone, que les Romains appellent « fer indien » (ferrum indicum).



Source : Éveha, Etudes et valorisations archéologiques.

Guttus, vase à bec verseur goutte à goutte en forme de coq (trouvé en 2021 sur le site de Boutae).





Les boucheries et tanneries, polluantes et malodorantes, sont tenues un peu à l'écart. Alors que les vêtements semblent, pour la plupart, confectionnés par les habitants eux-mêmes à partir de drap et de lin gaulois, la nourriture est fournie par les jardins (hortus) et les marchés (mercatus) alimentés par la campagne environnante (villae, « propriétés agricoles », avec leur pars urbana, l'ensemble d'habitation, et leur pars rustica, l'ensemble d'exploitation, sur leurs fundi, « domaines fonciers », entre autres sur les collines d’Annecy-le-Vieux et de Gevrier, mais aussi à Brogny, à Albigny, etc.), l’huile de noix étant produite sur place par des pressoirs privés.

N.B. Dans le domaine utilitaire et artistique (mis à part les outils susmentionnés), les fouilles ont mis au jour nombre d'objets divers en métal ou en terre cuite : des bustes, des statuettes, des figurines, des timbales en argent, des amphores, des cruches, des gobelets, des bols, des marmites, des jattes, des pots, des plats, des écuelles, des vases, des lampes à huile, des fibules (agrafes pour les habits), des bagues en argent ou en or, des bracelets, des colliers de perles, etc. Quant aux éléments en bois (portes, meubles...), seules les serrures et ferrures ont subsisté.



Source : Éveha, Etudes et valorisations archéologiques.

Applique de meuble en bronze représentant Bacchus (trouvée en 2021 sur le site de Boutae).



Source : Musées de Paris.

Ephèbe en bronze de 62 cm réalisé vers 30 av. J.-C. d'après Polyclète (trouvé en 1867 sur le site de Boutae).



En ce qui concerne les voies de communication, il faut aussi mentionner, outre la route secondaire vers Aquae (Aix-les-Bains), ouverte sous Claude, laquelle, partie de Boutae, monte sur la butte de Chevesne, puis sur le coteau d'Aléry, les installations portuaires à la naissance du Thiou non encore canalisé, lieu habité par des pêcheurs, des bateliers et également par des rouliers au bas de la voie qui, venant de Casuaria (Faverges), descend de la corniche de la Puya, traverse la carrière de la Perrière pour enjamber la rivière par un pont, prenant appui sur l'île, afin de gagner le vicus. Plus loin, des fours de tuiliers bénéficient de la proximité à la fois des bancs d'argile du Thiou et, très gourmands en bois de chauffe, des arbres de la vaste forêt de Chevesne. Voir aussi la mystérieuse inscription sur la voie romaine de Dingy-Saint-Clair.



Source : Revue savoisienne.

Partie de la voie romaine de Boutae à Aquae, passant par Aléry, Seynod, Le Treige, Vraisy, Chaux-Balmont, Viuz-la-Chiesaz, Gruffy, Cusy...



Pour son approvisionnement en marbre, en fer (limonite), en plomb, en cuivre, en étain, en céramique, en sel, en vin, etc., Boutae commerce avec toutes les régions de la Gaule jusqu'en Belgique, mais aussi avec la Bretagne (Angleterre actuelle), l'Italie et l’Espagne, la Grèce et même l'Afrique du Nord, voire l'Egypte. Ces échanges « internationaux » sont complètement anéantis à la suite des « grandes invasions » du Ve siècle.



Source : Éveha, Etudes et valorisations archéologiques.

Etiquettes commerciales en plomb (trouvées en 2021 sur le site de Boutae).





Sécurité



Comment la sécurité publique est-elle assurée dans un bourg ? Comme, sur les grandes voies impériales, des postes militaires sont régulièrement établis (stationes Romanae insederant vias, « des postes romains gardaient les routes », Tite-Live), les soldats, dits stationarii, interviennent dans leur secteur, donc éventuellement dans les localités, tels des gendarmes, mais, en principe, ils n'ont pas le droit d'emprisonner un inculpé et doivent le déférer à la justice. Dans les vici, les magistrats vicinaux organisent une milice citoyenne, il est vrai peu efficace, et emploient vraisemblablement des équipes de vigiles, à la fois pompiers et agents de police, afin de patrouiller dans les rues, surtout la nuit.

Les vigiles sont-ils des esclaves irrégulièrement affranchis, dits latins juniens, comme à Rome, où, parmi les affranchis composant les cohortes de vigiles, créées par Auguste en 6 apr. J.-C., beaucoup ont été libérés hors des trois modes solennels (censu, par inscription sur les tables du cens ; vindicta, par la baguette d'un magistrat ; testamento, par testament), soit per epistolam, « par lettre », soit inter amicos, « entre amis », et ne bénéficient que du droit latin en vertu de la loi Junia (d'où leur nom), mais - ce qui peut les motiver dans leur tâche -, au terme de six ans de service, obtiennent la citoyenneté romaine grâce à la loi Visellia, promulguée en l'an 24 ? En effet, si les Latins juniens vivent en hommes libres, ils meurent en esclaves et leur patrimoine revient à leur maître, sauf s'ils ont pu épouser une citoyenne romaine et avoir un enfant ayant survécu au moins un an, ou s'ils ont fait oeuvre utile à la cité comme vigile sous Auguste ou... boulanger sous Trajan. En est-il de même dans la province sénatoriale de Narbonnaise et sa grande cité de Vienne ?



Source : La toge et le glaive.

Vigiles urbains...

sans leur hama, « seau », mais avec leur dolabra, « hache-pic », leur uncus, « bâton-grappin » et leur spartum, « corde tressée », d'où leur surnom de sparteoli.



Destruction



Au milieu du IIIe siècle, période de troubles et d’anarchie, les Alamans pillent et incendient le bourg, massacrent les habitants qui n’ont pas eu le temps de s’enfuir et de se réfugier dans les bois ou les grottes du mont Veyrier !

Cependant, l’ordre une fois restauré, le vicus renaît, moins prospère toutefois qu’auparavant, et dépend, non plus de Vienne, mais de Genève, érigée en cité (civitas genavensis*).

* Ou Genavensium (« des Genevois »), car, lorsque l’adjectif en -ensis qualifie les habitants d'une ville, il peut être substantivé, comme le montre Tacite (Historiae, livre I, chapitre 65) pour la cité de Vienne : et in eversionem Viennensium impellere (« pousser à l’extermination des Viennois »), ce qui explique que l'adjectif de la 2e classe genavensis/e soit au génitif pluriel.

Finalement, après avoir subi une nouvelle dévastation au IVe siècle, la bourgade est ensuite totalement détruite au siècle suivant par les barbares qui envahissent l’empire et provoquent l'effondrement de la civilisation romaine (lire le passionnant ouvrage de Bryan Ward-Perkins, The Fall of Rome and the End of Civilization, Oxford University Press, 2005 - La chute de Rome, fin d'une civilisation, Flammarion, « Champs histoire », 2017, qui démontre l'ampleur des destructions causées par les invasions barbares ; lire aussi la captivante étude d'Umberto Roberto, Roma capta. Il Sacco della città [...], Laterza, 2012 - Rome face aux barbares, Seuil, 2015, « fondée sur une relecture serrée des sources et sur les dernières trouvailles de l'archéologie, [...] se démarquant du cliché de la décadence romaine et des [interprétations] qui gomment la violence des événements » [cf. quatrième de couverture] pour des raisons idéologiques).



Origine des noms Thiou et Fier


Annecy, étymologies locales en bref



Source : Wikimedia Commons.

Institutions romaines.

En fait, dès le Ier siècle apr. J.-C., à l'époque de l'essor de Boutae sous le régime du principat, les assemblées du peuple romain (comices centuriates et tributes) perdent rapidement leurs pouvoirs (électoral sous Tibère et législatif à la fin du siècle) ; le sénat voit aussi son rôle décliner, les magistrats n'étant plus que des administrateurs au service du prince. Toutefois, la vie politique reste souvent très animée au niveau des cités provinciales, où peut régner une certaine fièvre électorale, comme le montrent les inscriptions découvertes à Pompeii.



N.B. A l'origine, la poste impériale (vehicularius cursus, puis cursus publicus) est chargée, non d'acheminer le courrier des particuliers*1, mais de transmettre les ordres de l'empereur et les rapports des fonctionnaires ; ensuite, de transporter ces derniers, également les produits de l'impôt ainsi que le ravitaillement et l'équipement militaires.

Au IVe siècle, par exemple, on distingue la poste rapide des documents et des agents (cursus velox) avec le service du courrier à cheval (les veredarii, « messagers »*2, parcourent plus de soixante-quinze kilomètres par jour) et le service des voyageurs (birotae, « voitures légères à deux roues », ou raedae, « voitures lourdes à quatre roues », tirées par des mules), et la poste lente du charroi (cursus clabularis) avec le service des marchandises (angariae, « chariots » tirés par deux paires de boeufs et portant en moyenne jusqu'à cinq cents kilos).

Sur les routes empierrées, tous les douze kilomètres environ, se trouvent des relais de poste (mutationes) pour remplacer les animaux de trait fatigués et réparer les attelages ; à des intervalles de quelque trente-six kilomètres, il y a des gîtes d’étape (mansiones), comme celui de Boutae, afin d'héberger gratuitement les messagers, rouliers, cochers et voyageurs, lesquels doivent obtenir la permission d'utiliser la poste (evectio) et l'autorisation d'être logés et nourris (tractoria).

Ces gîtes comprennent non seulement une hôtellerie, des écuries et des remises, mais aussi des magasins où entreposer les vivres de l'approvisionnement d'Etat (annona) avec des étalons officiels de poids et mesures. A cette époque, en vue de se garantir des brigands, ces importantes constructions sont souvent fortifiées. Si le personnel est à la charge de l'Etat, les bâtiments sont à celle des cités. Les mansiones sont gérées par des praepositi, lesquels, en outre, contrôlent les permis et les charges maximales autorisées ; veillent à la régularité du service, à ce que la nourriture ne soit pas détournée ; protègent les paysans des réquisitions abusives...

Toujours au IVe siècle, au plus haut niveau, à Rome, le cursus publicus dépend du maître des offices (magister officiorum) ou directeur des bureaux centraux, qui, à partir de l'an 357, délègue, dans chaque province, deux agentes in rebus, « commissaires impériaux »*3, pour superviser l'organisation postale et surveiller la circulation des biens et des personnes.

*1 Les particuliers envoient leurs missives ou leurs colis par l'intermédiaire d'esclaves, ou, moyennant rétribution, par l'entremise de voyageurs privés ou de commerçants.

*2 La plupart du temps, il s'agit de speculatores, « éclaireurs » de l'armée.

*3 Ces agentes in rebus sont qualifiés de curiosi, « espions », par le peuple qui les déteste.



N.B. Un citoyen romain est un homme libre qui jouit du droit de cité (jus civitatis) romaine, soit de naissance, soit à l’issue du service honorable dans les troupes auxiliaires, soit sur décision du pouvoir suprême.

Un citoyen romain a des droits politiques majeurs (droit de vote à Rome, d’être élu magistrat dans le cursus honorum, sous condition de cens) et civils (droit de commercer, de posséder - en pleine proprietas et non en simple possessio -  et d’aliéner des biens, d’ester en justice, de tester, de se marier légalement, d’être jugé équitablement, d'interjeter appel (à l'assemblée populaire en cas de condamnation à la peine capitale), de ne subir que des peines afflictives modérées, d’échapper à une condamnation à mort par l’exil volontaire…).

De plus, un citoyen romain peut seul porter la toge ainsi que les fameux trois noms (tria nomina) : praenomen (prénom, par ex. Quintus) ; nomen gentilicium (nom de famille, par ex. Fabius) ; cognomen (surnom, par ex. Maximus) ; plus, éventuellement, agnomen (nom honorifique, par ex. Allobrogicus, « vainqueur des Allobroges »).

Un citoyen romain a aussi des devoirs (se faire recenser, payer les impôts et taxes sur la succession, servir dans une légion, honorer les dieux…).

Quant au citoyen latin, il bénéficie également de droits civils, mais pas de droits politiques hors de sa cité latine, dont les magistrats deviennent citoyens romains au sortir de leur charge.

Puissant moyen d'intégration des élites provinciales dès le Ier siècle, la citoyenneté romaine sera accordée à tous les hommes libres de l’Empire par l’édit de Caracalla en l’an 212.



Senatus populusque Romanus (« le sénat et le peuple romain »).

(Graphie modernisée usuelle, par ex., Cicéron : in quo me senatus populusque Romanus collocavit, « où le sénat et le peuple romain m'ont placé ».
En effet, sur les papyrus, les mots étaient en majuscules, n'étaient pas séparés et, pour mieux déchiffrer, on lisait non seulement des yeux, mais aussi à voix basse !)



N.B. D'après le célèbre manuel d’histoire Malet et Isaac, « le droit romain est peut-être la partie la plus importante de l’héritage que Rome nous a laissé ». Il a largement inspiré le Code civil, dit Code Napoléon, qui s'est répandu dans toute l'Europe continentale par la conquête et, au-delà, par la colonisation. Son influence continue à s’exercer sur la législation.

En matière de droit, les Romains recherchent avant tout l’équité, selon la maxime suum cuique tribuere, « attribuer à chacun ce qui lui revient ». Contrairement à la plupart des peuples antiques, les Romains ont, très tôt, séparé le domaine de la religion (fas), réservé aux pontifes, le domaine des mœurs (mos), surveillé par les censeurs, et le domaine spécifique de la justice (jus), administré par les préteurs. Par conséquent, le droit, désacralisé, a pu faire l’objet de discussions, de critiques, d’analyses, être enseigné et divulgué. De plus, les Romains ont distingué le droit privé (jus privatum), portant sur le statut des personnes et leurs rapports, et le droit public (jus publicum), concernant soit le peuple romain (jus Quiritium, « droit des citoyens »), soit les relations de celui-ci avec les autres peuples (jus gentium, « droit des gens, [des nations] »).

Dès le Ve siècle av. J.-C., sous la République, le droit romain se laïcise progressivement à partir de la loi fondamentale des Douze Tables, qui demeure en vigueur pendant dix siècles (!) et pose les grands principes, notamment l’universalité de la loi avec le caractère exceptionnel des privilegia (lois concernant des particuliers), et le droit pour tout citoyen condamné à mort de faire appel à l’assemblée du peuple (jus provocationis). Quant aux nouvelles lois importantes, elles sont soit proposées par un consul (magistrat suprême) ou un préteur (magistrat judiciaire) et votées par les comices centuriates (assemblées populaires organisées selon la fortune des citoyens), soit proposées par un tribun de la plèbe (représentant le bas peuple des plébéiens opposés aux nobles patriciens) et votées par son assemblée (concilium plebis) pour ne s’appliquer au début qu’à celle-ci, mais, bien vite, toutes les lois s’appliquent à l’ensemble des citoyens.

Un procès se déroule en deux temps : tout d’abord, le plaideur, assignant éventuellement un défendeur (in jus te voco, « je t’appelle en justice »), doit « aller en justice devant le préteur » (ad praetorem in jus adire, Cicéron), qui examine si la plainte est recevable ; ensuite, « la cause [est] portée devant un juge » (causa in judicium deducta, Cicéron), lequel, assisté d’un juriste, vérifie la validité des faits et prononce la sentence.

A partir du IIe siècle av. J.-C., le préteur, prenant ses fonctions judiciaires pour une année, publie un édit qui énonce les règles selon lesquelles il envisage de remplir les devoirs de sa charge, devenant ainsi créateur de droit (jus honorarium, « droit d’honneur [du magistrat] »). Le plus souvent, il reconduit celles de son prédécesseur, mais l’édit annuel permet une adaptation souple aux circonstances. De surcroît, à cette époque, avec les commentaires des jurisconsultes, se développe la jurisprudence, véritable science du droit, qui, à partir des cas d’espèce, dégage des définitions et établit des classifications. Apparaissent des traités (digesta), des manuels (institutiones), des études de cas (quaestiones), des consultations (responsa), des recueils de règles (regulae) ou de maximes (sententiae).

Jusqu’au Ier siècle apr. J.-C., les sources du droit sont les assemblées populaires, les magistrats élus, le sénat (senatusconsulta, « décrets du Sénat »), formé des anciens magistrats, et les jurisconsultes, sans oublier la coutume qui régit beaucoup de situations, surtout d’ordre privé.

A partir de la fin du Ier siècle apr. J.-C., l’empereur, par ses édits (prescriptions générales), rescrits (réponses ayant force de loi) et décrets (jugements), confisque le pouvoir législatif des assemblées populaires, puis celui du préteur et, enfin, celui du Sénat à la fin du IIe siècle, même si le principat est l’âge d’or de la doctrine juridique romaine avec l’essor de grandes écoles et les travaux de savants juristes qui mettent au point un ensemble juridique perfectionné et cohérent, transcrit plus tard dans des codes.

A noter que, contrairement à la loi salique (des Francs saliens) et aux coutumes médiévales, « le droit romain ne connaît ni privilège de masculinité ni privilège de primogéniture : la fille hérite comme le garçon, le cadet a droit à la même part que l'aîné » (Robaye). En outre, au IIe siècle, toutes les femmes majeures de condition libre acquièrent une pleine capacité d'exercice et peuvent gérer leurs affaires sans entraves.



N.B. Le dieu romain Mercure (Mercurius, de merx/mercis, « marchandise ») a donné son nom au jour du mercredi (Mercuri dies), à la planète et au métal. Peut-être d’origine étrusque, il est apparu à Rome au début du Ve siècle avant J.-C. et a été, plus tard, assimilé au dieu grec Hermès. Dans la mythologie romaine, il est considéré comme le fils de Jupiter et de Maia, vieille divinité italique, fille de Faunus et épouse de Vulcain, identifiée à la divinité grecque éponyme, qui est fêtée au mois de mai (maius).

Représenté en beau jeune homme athlétique, nu ou vêtu d’une légère tunique, couvert d’un pétase (chapeau rond du voyageur) ailé, personnifiant le mouvement, la vigilance, l’habileté et la ruse, Mercure exerce de nombreuses fonctions. Tout d’abord, à l’égard des autres dieux, il est leur messager, leur ambassadeur, en particulier, celui de Jupiter, qu’il sert et assiste avec zèle. Ensuite, en ce qui concerne les humains, muni de son caducée – baguette entrelacée de deux serpents et surmontée de deux ailerons –, il conduit aux Enfers les âmes des morts, qu’il détache des corps. Ayant rendu plus précis le langage et mis au point l’écriture, il est le dieu de l’éloquence, le patron des voyageurs, des marchands (il a souvent une bourse à la main ou à la ceinture), et préside au développement du commerce et des arts, surtout de la musique, puisqu’il a inventé la lyre à trois cordes ! Cependant, Mercure, à la fois fort et gracieux, a aussi de gros défauts, car il peut se montrer trompeur et même voleur !





Pour honorer Mercure, dieu du bien dire et de la douce parole, les Romains et Gallo-Romains lui offrent des langues d’animaux, du lait et du miel. Au retour d’un voyage heureux, on le remercie par des ex-voto (de ex voto suscepto, « selon la promesse tenue »), où des pieds ailés incarnent sa promptitude. Dans le temple qui lui est dédié, on lui chuchote des vœux à l’oreille et on sort les oreilles bouchées avec les mains : les premiers mots qu’on entend dans la rue constituent la réponse du dieu, à interpréter, bien sûr ! A Rome, les commerçants le célèbrent le 15 mai lors des mercuriales, en lui sacrifiant une truie pleine en vue de favoriser leurs affaires et se faire pardonner leurs tromperies. On place sa statue (en fait, souvent juste un pilastre surmonté d’une tête) aux carrefours des grandes routes afin qu’il veille sur les voyageurs. En Gaule romaine, il est associé à certains dieux celtes, notamment Lug.

A Boutae, outre le sanctuaire, on a trouvé plusieurs dédicaces à Mercure, une intaille (pierre fine gravée en creux) ovale en pâte de verre noire, ornée du dieu portant son caducée et une bourse, quelques statuettes à son effigie, dont une en bronze, de dix centimètres, le figurant debout, nu, avec une chlamyde (manteau court) sur l'épaule et le bras gauches, coiffé du pétase ailé et tendant une bourse de la main droite.



Source : Magazine GEO.

Gourde militaire et son contenu en offrande.

En 2020, sur le site de Sagenadum (Seynod), près de Boutae, dans les vestiges d'un sanctuaire du Ier siècle apr. J.-C., on a découvert, entre autres objets, une gourde (laguncula ou lagona en latin familier) de légionnaire romain, en fer avec un bouchon en alliage cuivreux, pouvant être cadenassé, dans un état de conservation exceptionnel. Les analyses ont révélé des traces de millet, de baies noires, de produits laitiers et de poix de conifère, le tout ayant été chauffé ou cuit. Cette gourde, placée dans un sanctuaire, indique une offrande. Se pourrait-il que ce soit celle d’un soldat de la 14e légion Gemina Martia Victrix, dont une partie est passée par Boutae en 69 apr. J.-C. sur son parcours d’Italie en Bretagne (Angleterre actuelle)  ? En tout cas, il ne s'agit pas forcément d'une offrande votive, car beaucoup d'offrandes étaient faites pour remercier ou simplement se concilier, honorer une divinité, d'autant plus que l'on offrait des aliments plutôt dans le cadre sacrificiel de l'échange entre l'humain et le divin.



Sources principales


  • BROISE, Pierre, Le vicus gallo-romain de Boutae et ses terroirs, Annecy, Société des amis du Vieil Annecy, 1984.

  • BROISE, Pierre, « Annecy aux temps gallo-romains », Annesci, Annecy, Société des amis du Vieil Annecy, 1955.

  • GUICHONNET, Paul (sous la direction de), BROISE, Pierre, « Un demi-millénaire de romanité », Histoire d’Annecy, Toulouse, éditions Privat, 1987.

  • GUICHONNET, Paul (sous la direction de), BROISE Pierre, « La civilisation romaine en Savoie », Histoire de la Savoie, Toulouse, éditeur Edouard Privat, 1973.

  • LEGUAY, Jean-Pierre (sous la direction de), PRIEUR, Jean, « L’occupation romaine », La Savoie des origines à l’an mil, Histoire de la Savoie, tome I, Rennes, éditions Ouest France, 1983.

  • LE BOHEC, Yann, Histoire des guerres romaines, « La conquête du sud de la Gaule », Paris, éditions Tallandier, 2017.

  • PIGANIOL, André, L'Empire chrétien (La poste impériale au IVe siècle), Paris, Presses universitaires de France, 1947, 1972 (édition mise à jour).

  • ROBAYE, René, Le droit romain, Paris, éditions Academia, 2016.

  • BRETONE, Mario, Histoire du droit romain, Paris, éditions Delga, 2016.

  • PéREZ, Antoine, La société romaine, Paris, éditions Ellipses, 2016.

  • TRAN, Nicolas, La plèbe, Paris, éditions Passés composés / Humensis, 2023.

  • COMMELIN, Pierre, Bréviaire de la mythologie grecque et romaine, Paris, éditions Garnier, 1960.

  • SCHEID, John, La Religion des Romains, Paris, éditions Armand Colin, 2019.

  • SCHEID, John, Les Romains et leurs religions. La piété au quotidien, Paris, Les éditions du Cerf, 2023.




    Quelques considérations sur le latin



    Le latin n'est pas seulement un outil de musculation de l'intelligence, il est le coeur battant de notre culture.

    Alain-Gérard Slama


    Prononciation latine : Rappelons brièvement d'emblée qu'en latin classique, toutes les lettres se prononcent (e comme é ou è, h aspiré) séparément et gardent toujours le même son : c et g toujours durs comme dans cabane et garde, ch prononcé comme dans choeur, i, lorsque consonne (devenu j en français, par ex. : iniustus, « injuste »), prononcé comme dans yoyo, q prononcé comme dans quaker, s toujours prononcé comme dans casse, t toujours prononcé comme dans table, u prononcé ou, et, lorsque consonne (devenu v en français, par ex. : nouus, « nouveau »), prononcé comme dans web, x toujours prononcé comme dans extra et y, rare, prononcé u. L'alphabet latin comporte vingt-trois lettres, dont trois rares : k, y et z, qu'on trouve dans les mots d'origine grecque. Toutes les voyelles a, e, i, o, u ont un son bref et un son long, permettant de distinguer des mots, par ex. : populus (o bref), « peuple » et populus (o long), « peuplier », le u étant bref dans les deux termes.

    Syntaxe latine : Rappelons également qu'en latin, l’ordre des mots est beaucoup plus libre qu’en français ; en effet, la fonction des termes variables dans la phrase est déterminée, non par leur place, mais par leur terminaison. Par ex., les phrases Petrus Paulum verberat, Paulum Petrus verberat, Petrus verberat Paulum, Paulum verberat Petrus, Verberat Paulum Petrus, Verberat Petrus Paulum ont le même sens : « Pierre frappe Paul », car Petrus est au nominatif (cas sujet) et Paulus est à l'accusatif (cas objet). Cependant, en latin, la place des mots n'est pas indifférente, car elle sert à traduire les nuances de la pensée : par ex., comparez Nemo non venit (« Tout le monde est venu ») à Non nemo venit (« Il n'est pas venu grand monde »), ou à créer un effet de style en groupant ou en mettant en relief certains termes, ne serait-ce que dans l'usage courant de placer la préposition entre le déterminant et le nom afin de mettre le premier en vedette : par ex., Illo sub rege (« Sous un roi tel que lui »). Analyse d'un autre ex. pris chez le poète élégiaque Tibulle (Aulus Albius Tibullus) dans ses Elegiae (liber II, elegia V, versus LXXXII) : Succensa sacris crepitet bene laurea flammis (« Que le laurier embrasé pétille favorablement dans les flammes sacrées »), soit, dans l'ordre des mots en français : laurea succensa (nominatif singulier = sujet), crepitet (verbe au subjonctif présent), bene (adverbe invariable), flammis sacris (ablatif pluriel = complément circonstanciel).

    Sémantique latine : A propos de nuances, le latin s'avère très précis ; un exemple entre mille : quand on dit « quelqu'un » en français, le latin dit quis s'il s'agit d'une personne indéterminée, supposée, aliquis s'il s'agit d'une personne réelle, mais qu'on ne peut préciser, quidam s'il s'agit d'une personne réelle qu'on pourrait préciser : par ex., comparez Si quis venit (« Si quelqu'un/n'importe qui/on vient »), Aliquis venit (« Quelqu'un/un inconnu est venu ») et Quemdam diligo (« J'aime quelqu'un », que je ne nomme pas). Autre exemple : le verbe impersonnel français « il arrive » se traduit en latin par accidit, « il arrive (par hasard ou fâcheusement) », par contingit, « il arrive (heureusement) », par evenit, « il arrive (d'une manière quelconque) ». Le latin exprime aussi davantage de nuances que le français dans les temps verbaux : par ex., la phrase au conditionnel passé « J'aurais pu le faire » se traduit par Potui hoc facere, « J'aurais pu le faire (mais je ne l'ai pas fait) », par Poteram hoc facere, « J'aurais pu le faire (mais je ne le fais toujours pas) », par Potueram hoc facere, « J'aurais pu le faire (mais je ne l'avais déjà pas fait auparavant) ».

    Histoire latine : Comment est-on passé du latin au français sur le plan grammatical ? En bref, dans l'empire romain tardif, en latin parlé, on n'accentuait plus guère la dernière syllabe d'un mot et on prononçait de moins en moins l'éventuelle consonne finale ; ainsi devenait-il difficile de connaître la fonction d'un terme variable, puisque celle-ci était justement déterminée par la terminaison selon un système de cas et de déclinaisons. Par ex., si l'on ne fait plus entendre la désinence de l'accusatif marquant le complément d'objet, dans la phrase Senecam Nero interfecit (« Néron tua/massacra Sénèque »), on ne sait plus qui a tué qui et on pourrait même croire que c'est Sénèque qui a tué Néron ! C'est pourquoi, en français, la construction sujet, verbe, objet est généralement fixe, et l'emploi des prépositions s'est multiplié pour indiquer les compléments de nom (en latin au génitif), d'attribution (en latin au datif) et circonstanciels (en latin à l'ablatif) : Liber Petri, « Le livre de Pierre » ; Do vestem pauperi, « Je donne un habit au pauvre » ; Ibam Via Sacra, « Je passais par la Voie Sacrée ». Cela dit, le latin a une longue histoire. Comme dans toutes les langues, en latin, on distingue l'oral et l'écrit. Le premier, mal connu, populaire (argotique, familier, courant) ou élitaire (plus ou moins châtié selon les catégories et les situations sociales), a considérablement varié dans l'espace au contact des autres langues et dialectes, et changé dans le temps au fil de l'usage. Le second, mieux connu et plus stable, a tout de même évolué du stade archaïque (jusqu'au Ier siècle av. J.-C.) au stade tardif (VIe siècle apr. J.-C.) en passant par le stade classique (rhétorique et littéraire, jusqu'au IIe siècle apr. J.-C.), que d'aucuns subdivisent en « âge d'or » et en « âge d'argent » : voir de brefs extraits de dix grands auteurs romains. Grâce à l'Eglise catholique et également, plus tard, aux humanistes de la Renaissance, aux diplomates jusqu'au XVIIe siècle, aux savants encore au XIXe, le latin s'est perpétué, modifié, mais aussi enrichi de nombreux termes nouveaux, jusqu'à nos jours...




    La romanisation des Allobroges


    Le centurion romain


    La cavalerie romaine en Gaule avant les grandes invasions de 406


    Histoire de la ville d'Annecy




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    Alain Cerri : E-mail.