Dans la bataille du mont Froid - In the Battle of Mount Froid

Dans la bataille du mont Froid - In the Battle of Mount Froid



Page modifiée le 14 août 2019.






English translation.



(L'un des plus hauts combats d'Europe - haute Maurienne, Savoie, France, avril 1945)





Au-dessus de tout, il y a Dieu ; en dessous de Dieu, il y a le chasseur ; au-dessous du chasseur, il y a la montagne et, au-dessous, il y a le reste.



Combat de la 4e compagnie du 6e bataillon de chasseurs alpins dont faisaient partie le sergent Roger Cerri et le caporal-chef Jean Gilbert.



La liberté guide nos pas !



En avril 1945, les chasseurs de montagne allemands et les parachutistes italiens fascistes tiennent encore les crêtes alpines entre la France et l'Italie, notamment en haute Maurienne dans le secteur clé du mont Cenis. Cols, observatoires et bastions naturels sont occupés par des unités d'élite de la 5. Gebirgs-Division (principalement le 3e bataillon du Gebirgsjäger-Regiment 100 *) et une compagnie du régiment italien fasciste Folgore : environ quinze cents soldats aguerris, bien équipés et appuyés par une vingtaine de pièces d'artillerie (neuf pièces de 150 et onze de 75) et des mortiers de 120. En contrebas, la 27e division d'infanterie alpine, amalgame des maquisards A.S. et F.T.P. et de jeunes recrues, aligne la 7e demi-brigade de chasseurs alpins composée des anciens bataillons Vercors, Oisans, Belledonne devenus respectivement 6e, 11e et 15e B.C.A. : environ trois mille volontaires sous-alimentés, peu entraînés, mal équipés, mais soutenus par quarante-cinq bouches à feu (huit pièces de 155, quinze de 105 et vingt-deux de 75).

Le 5 avril 1945, malgré le froid très vif, un vent glacial et une croûte neigeuse cassante, la 7e demi-brigade s'élance à l'assaut du plateau du mont Cenis, pièce maîtresse du système défensif ennemi, clé du Val de Suse et du Piémont. L'objectif principal du jour J consiste à s'emparer du mont Froid (2820 m) qui commande toute la moyenne vallée de l'Arc et constitue la pierre angulaire de l'organisation allemande. Arête étroite de sept à huit cents mètres de long, le sommet du mont Froid est défendu par trois points d'appui : « blocs » est et ouest avec deux casemates en ruine et « bloc » centre avec un réseau de tranchées. Le 5 avril, la 4e compagnie du 11e B.C.A. réussit à conquérir les points d'appui centre et ouest. Le lendemain, à la suite d'une quatrième attaque, elle enlève le bloc est : le mont Froid tombe enfin aux mains des Français ! Cependant, éloignée des bases de ravitaillement, la position s'avère d'autant plus difficile à tenir sous le feu de l'ennemi que celui-ci décide de la reconquérir à tout prix...

Heureusement, dans la journée du 6 avril, des renforts arrivent : quelques éléments de la 2e compagnie du 11e B.C.A. et surtout la 4e compagnie du 6e B.C.A. au complet dont les chasseurs, sans skis ni raquettes, mais surchargés de munitions, atteignent le sommet après une marche extrêmement éprouvante dans la neige profonde. Malgré ces renforts, le vent bruyant ainsi que le brouillard continuel neutralisent la vigilance des guetteurs... Un peu avant minuit, à la suite de violents tirs de mortiers et de mitrailleuses, un détachement germano-italien (une compagnie allemande et deux sections italiennes), articulé en cinq groupes, parvient sans bruit aux abords de la casemate est : tandis que trois groupes lancent une attaque frontale au pistolet-mitrailleur et à la grenade, les deux autres tentent un double débordement. Scène apocalyptique : la lueur des fusées éclairantes et les éclairs des balles traçantes déchirent la brume ; les explosions des obus de mortier, des grenades et des projectiles de Panzerfaust s'ajoutent au crépitement des armes automatiques dans un vacarme infernal... Submergée, la petite garnison française est sur le point d'être anéantie. La section de l'adjudant-chef René Jeangrand (avec entre autres le sergent Roger Cerri et le caporal-chef Jean Gilbert) vient immédiatement à la rescousse...




Fusil-mitrailleur français modèle 1924 modifié 1929 (7,5 mm x 54 au lieu de 58).



Jean Gilbert se souvient : Brusquement, j'entends, à quelques dizaines de mètres, les Allemands qui arrivent en criant : « Français, rendez-vous, vous êtes pris ! » Jean Fournier, en tête de son groupe, prend le fusil-mitrailleur et tire. Bientôt, il tombe mortellement blessé. Puis sont tués à leur tour l'adjudant-chef Jeangrand et l'adjudant Gay qui a eu le temps de donner l'ordre de repli. Les deux groupes se replient sous le feu de l'ennemi. Nanjod et Brand sont blessés. Lacroix a la mâchoire brisée par une balle de pistolet tirée à bout portant par un Allemand surgi de la nuit... Sous une incroyable mitraille, nous rejoignons le bloc centre [...] Les Allemands, qui hurlent toujours autant, arrivent bientôt. Nous nous défendons avec l'énergie du désespoir. Il faut ménager les munitions, car aucun secours ne peut nous être envoyé. Les Allemands donnent l'assaut en criant. Ils sont accueillis par une volée de balles. Tenaces, ils recommencent et arrivent jusqu'à une vingtaine de pas. C'est à ce moment-là que Psilodimitris, couché à côté de moi, reçoit une balle en plein front. D'autres, qui sont pour moi anonymes, sont tués ou blessés... Aux cris des Allemands, nous répondons par le Chant du départ, entonné par l'aspirant Vanier. Le lieutenant Paut vient de recevoir une balle en pleine poitrine. L'instant est particulièrement émouvant. Je tire tant que je peux en chantant et en pleurant. Bientôt, la clarté, qui commence à poindre, laisse voir les derniers Allemands qui fuient... La fatigue tombe sur nos épaules. Autour de nous, la neige est jonchée de morts et de blessés. La section a quatre tués et cinq blessés. C'est cher payé !

On panse les blessures. On évacue les blessés et les morts. Des gars ont les pieds gelés. Le lieutenant Ruche a les deux pieds gelés et devra être évacué sur une civière [...] La tempête balaie la montagne, la visibilité est nulle et les guetteurs sont relevés toutes les demi-heures. Le dimanche 8 avril, nous sommes de plus en plus frigorifiés et épuisés. [...] Les mitrailleuses et les F.-M. sont gelés et ne veulent plus fonctionner. Heureusement, l'ennemi ne vient pas cette nuit. Le 9 avril, vers six heures du matin, la 4e compagnie du 6e B.C.A. est relevée...

Après l'échec de trois contre-attaques, le commandement allemand se résout à évacuer le secteur du mont Cenis, mais, à l'échelon suprême, le Generaloberst von Vietinghoff, commandant en chef du front allemand en Italie, ordonne de résister et de reprendre le mont Froid coûte que coûte. Ainsi, grâce à d'importants renforts de la division, les Allemands reconquièrent la position le 12 avril 1945. Toutefois, deux semaines plus tard, ils reçoivent l'ordre de quitter la région.

Pour conclure, citons le général Alain Le Ray qui commandait la 7e demi-brigade de chasseurs alpins en 1945 : [...] il y a l'admirable spectacle de ces deux adversaires qui se battent pour l'honneur, les uns sachant bien que tout est perdu pour eux, mais qu'il reste leur éternelle valeur de soldats à défendre, les autres n'ignorant pas que les objectifs pour lesquels ils combattent ne sont que d'arides pitons auxquels personne ne s'intéresse, mais qui veulent apporter à la France la contribution de leur sacrifice afin qu'elle soit absoute de ses faiblesses d'hier et qu'entre les mains de son chef, puisse être remis, au moment des négociations pour la paix, le gage de leur effort gratuit et de leur renoncement. [...] Les sacrifices de nos chasseurs [...] ont contribué à la réhabilitation de la France auprès de nos alliés et devant l'histoire.




Chasseurs alpins français.



N.B. L'armement des Français s'avère nettement inférieur à celui des Allemands : facilement enrayé par le gel, il a soit un calibre insuffisant (pistolet-mitrailleur), soit une cadence de tir deux à trois fois moins rapide (fusil-mitrailleur et mitrailleuse). De plus, les Allemands disposent, outre de Panzerfaust, de mortiers de 80 légers, qui surclassent les 60 français, et de deux canons de 75 portables en fardeaux, qui surclassent le 37 du 6e B.C.A.. Ces canons d'infanterie de montagne de 75 (env. 400 kg), plus précis que les mortiers, ont une portée de 3600 m contre 2400 pour les mortiers de 80 lourds (env. 60 kg) allemands et français, 1200 pour les mortiers de 80 légers (env. 30 kg) allemands et 1000 pour les mortiers de 60 (env. 20 kg) français.



Principales caractéristiques des armes à tir tendu des groupes de combat français et allemands


PISTOLETS-MITRAILLEURS MAS 38 (France) MP 40 (Allemagne)
année de mise en service 1938 1940 (1938)
poids non chargé 2,83 kg 3,97 kg
longueur totale 635 mm 832 mm
longueur du canon 222 mm 250 mm
calibre 7,65 x 19,7 mm 9 x 19 mm Parabellum
vitesse initiale env. 380 m/s env. 365 m/s
portée pratique env. 100 m env. 100 m
cadence de tir max. 600 cps/mn max. 500 cps/mn
alimentation chargeur 32 coups chargeur 32 coups

FUSILS A REPETITION MAS 36 (France) Gew 33/40 (All.) Mauser Kar 98 k (All.)
année de mise en service 1936 1940 (1933) 1935 (1898)
poids non chargé 3,70 kg 3,58 kg 3,90 kg
longueur totale 1020 mm 993 mm 1108 mm
longueur du canon 580 mm 490 mm 600 mm
calibre 7,5 x 54 mm 7,92 x 57 mm 7,92 x 57 mm
vitesse initiale env. 840 m/s env. 715 m/s env. 745 m/s
portée pratique env. 500 m env. 400 m env. 500 m
cadence de tir 10 à 15 cps/mn 8 à 12 cps/mn 8 à 12 cps/mn
alimentation chargeur 5 coups chargeur 5 coups chargeur 5 coups
lance-grenades tromblon V.-B. (Vivien-Bessière) Schießbecher Schießbecher

FUSILS-MITRAILLEURS MAC 24/29 (France) leMG 42 (All.)
année de mise en service 1929 (1924) 1942
poids non chargé env. 9 kg env. 11,5 kg
longueur totale 1080 mm 1220 mm
longueur du canon 500 mm 533 mm
calibre 7,5 x 54 mm 7,92 x 57 mm
vitesse initiale env. 820 m/s env. 760 m/s
portée pratique env. 600 m env. 600 m
cadence de tir max. 450 cps/mn max. 1200 cps/mn
alimentation chargeur 25 coups bande 50 coups




Chasseurs de montagne allemands...

et leurs mulets transportant, en six fardeaux, un 7.5 cm Gebirgsinfanteriegeschütz 18 (canon d'infanterie de montagne de 75 mm modèle 1918 modifié, à ne pas confondre avec le canon d'artillerie de montagne de 75 mm modèle 1936).


* Le Gebirgsjäger-Regiment 100 (1. Gebirgs-Division, puis 5. Gebirgs-Division à partir de novembre 1940), bien qu'il ait subi de lourdes pertes de la campagne de Pologne en 1939 à celle d'Italie en 1944 en passant par la France, la Grèce, la Crète et le front russe, demeure une unité d'élite de la Wehrmacht qui, selon l'étude du colonel américain Trevor Dupuy, a TOUJOURS démontré une nette supériorité tactique sur TOUS ses adversaires.



Origine de la 4e compagnie du 6e B.C.A. Elle est issue d'une unité haut-savoyarde de l'Armée secrète, le bataillon Vincent (du nom d'un résistant fusillé par les Allemands au printemps 1944), commandé par Pierre Ruche, aspirant au 27e B.C.A. en 1940, puis chef du secteur A.S. de Saint-Julien-en-Genevois. [En 1944, désapprouvant la concentration des maquisards aux Glières, Ruche refuse de faire monter son unité sur le plateau.] Après la libération du département, de nombreux résistants souhaitant rentrer chez eux, les formations A.S. et F.T.P. fusionnent. Naît ainsi la 2e compagnie du 1er bataillon de la Haute-Savoie qui est finalement incorporée au 6e B.C.A. sous l'appellation de 4e compagnie, toujours sous le commandement du lieutenant Ruche. Au printemps 1945, elle est renforcée par des éléments F.T.P. de l'Isère, dont l'adjudant-chef Jeangrand tué au mont Froid. (Renseignements obligeamment fournis par Jean Gilbert, secrétaire de l'amicale des anciens du mont Froid.)



Organigramme du 6e bataillon de chasseurs alpins en avril 1945

Chef de bataillon : commandant Costa de Beauregard

Compagnie de commandement et d'accompagnement (lourde, de soutien et d'appui : section canon de 37, section mortiers de 81, deux sections mitrailleuses) : lieutenant Quillet

1ère compagnie d'éclaireurs-skieurs : capitaine Bordenave

2e compagnie de combat : capitaine Maréchal

3e compagnie de combat : lieutenant Gonnet

4e compagnie de combat : lieutenant Ruche



English translation.




Le sergent Roger Cerri.



(One of the highest battles in Europe - upper Maurienne, Savoie, France, April 1945)



Battle fought by the 4th company of the 6th chasseurs alpins battalion (Sergeant Roger Cerri and Corporal Jean Gilbert were members of this unit).



In April 1945, the German mountain light infantry and Italian Fascists paratroopers still occupied the alpine ridge between France and Italy, notably in the upper Maurienne in the key sector of Mount Cenis. All the positions were held by crack units from the 5th German Mountain Division (principally the 3rd battalion of the Gebirgsjäger-Regiment 100) and a company of the Italian Fascist Folgore Regiment : about fifteen hundred well trained, well-equipped soldiers with twenty howitzers and several heavy mortars. In the valley below, the 27th French Mountain Division, composed of former maquisards, brought three chasseurs alpins battalions into operation : about three thousand volunteers, undernourished, not trained enough, badly equipped, but supported by forty-five field guns.

On the 5th of April 1945, in spite of frigid conditions, a bitter wind and icy snow, the French battalions launched an offensive against the plateau of Mount Cenis, main part of the enemy defense, which gives access to the Suse valley and Piedmont. The first target was to take hold of Mount Froid (2820 m) which commands the valley and was the corner stone of the German stronghold. Its summit, a narrow ridge seven to eight hundred meters, was shielded by three strong points : east and west blocks with two tumbledown casemates and a center block with a network of trenches. On the 5th of April, the 4th company of the 11th chasseurs alpins battalion succeeded in conquering the middle and the western strong points. The next day, after a fourth attack, the same unit seized the eastern block : Mount Froid fell finally into the French hands ! However, a long way from the supply base, the position was all the harder to hold under artillery fire because the enemy decided to reconquer it at all costs...

Fortunately, in the course of the 6th of April, a fresh supply of troops was sent up : parts of the 2nd company of the 11th BCA and particularly the whole 4th company of the 6th BCA. The soldiers, without skis or snowshoes, but with an excess of ammunition, reached the top after a very tiring climb in deep snow. In spite of these reinforcements, a noisy wind as well as a constant fog neutralized outposts'vigilance... A short time before midnight, after a violent shelling, an enemy detachment (one German company and two Italian platoons), composed of five groups, silently approached the eastern casemate : while three groups made a frontal attack, the two others tried to outflank the position. Apocalyptical scene with flashes of flare and tracer bullets, bursts of gunfire, mortar shells, grenades and Panzerfaust projectiles in a hell of a row... The small French garrison was overwhelmed and on the verge of being annihilated. Under the command of Sergeant Major Jeangrand, a platoon of the 4th company of the 6th BCA (with Sergeant Roger Cerri and Corporal Jean Gilbert) came immediately to the rescue...

In the engagement, Sergeant Major Jeangrand, Master Sergeant Gay and a private were killed, three others wounded. All the groups withdrew under fire and took refuge in the center block. The attackers screamed and charged with submachine guns and hand grenades. The French chasseurs alpins defended themselves energetically. Facing a volley of bullets, the enemy had to step back, but it attacked quickly again and arrived at close range. Several French soldiers were killed or wounded, but the others, singing the Chant du départ, opened a running fire. As dawn was breaking, the attackers retired... Shortly afterwards, a snowstorm raged. It was freezing hard. Most men were exhausted, many men had frozen feet, the weapons were frozen... On the 9th of April, the 4th company of the 6th BCA was relieved at last...

After the failure of three counterattacks, the German command was resolved to evacuate the sector of Mount Cenis, but, at the highest level, Generaloberst von Vietinghoff, commander-in-chief of the German front in Italy, ordered to resist and to recapture Mount Froid at any price. So, with the help of important reinforcements from the Division, the Germans reconquered their position on the 12th of April 1945. Nevertheless, two weeks later, they received orders to leave the region.



Mon père Roger dans la Résistance française en Savoie (Glières) - My father Roger in the French Resistance in Savoy (Glières).


N.B. En avril 1945, les casemates françaises, sous le feu de l'artillerie durant tout l'hiver, sont ruinées et, au centre, il n'y a que des tranchées avec un petit abri en bois - In April 1945, the French casemates, under artillery fire throughout the winter, were ruined and, in the middle, there were only trenches with a small wooden shelter.


The 5th German Mountain Division.
L'une des meilleures divisions de montagne de l'armée allemande sur les six véritables Gebirgs-Divisionen de la Wehrmacht, les autres n'étant que des formations de circonstance comme celles de la Waffen-SS surtout à recrutement local pour la lutte contre les partisans dans les Balkans.


5. Gebirgs-Division - Gebirgsjäger-Regiment 100.


Les chasseurs alpins.


The Battle of l'Authion - La bataille de l'Authion.
Venue d'Alsace, la 1ère division française libre, renforcée (notamment par le 3e régiment d'infanterie alpine issu des maquis), soutenue par les chars, l'aviation et l'artillerie de marine, s'empare du massif de l'Authion dans les Alpes-Maritimes le 12 avril 1945 après deux jours de durs combats contre la 34e division allemande de grenadiers.


10th Mountain Division Association.




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Alain Cerri : E-mail.