La bataille de Waterloo (18 juin 1815)

La bataille de Waterloo (18 juin 1815)

Page établie le 18 juin 2015, modifiée et augmentée le 16 mai 2024.



Je pense que pour conserver la clarté dans le récit d'une action de guerre, il faut se borner à indiquer la position respective des deux armées avant l'engagement, et ne raconter que les faits principaux et décisifs du combat. Général baron de Marbot, Mémoires.




Table des matières :

La bataille de Waterloo

Napoléon ne s'attendait pas à l'arrivée des Prussiens à Waterloo

Composition de l'armée française à Waterloo

Le fusil de l'infanterie française : caractéristiques et fonctionnement

Les « dents de Waterloo » et les « dents du bonheur »

Carrière militaire du général de Marbot jusqu'en 1815

La Grande Armée




La bataille de Waterloo



Fantassin de l'armée française.



Le 18 juin 1815, la bataille de Waterloo « a sonné le glas de la séculaire ambition française de prépondérance en Europe et dans le monde » *1 pour faire place à celle de la Grande-Bretagne en plein essor au 19e siècle.

Malgré la proclamation de ses intentions pacifiques, Napoléon 1er, de retour de l’île d’Elbe, est mis au ban d’une Europe coalisée contre lui. En France même, malgré le soutien des « napoléonistes », de l’armée et d’une partie du peuple, enthousiaste quoique lassé de la guerre, il doit tenir compte de la double opposition royaliste et libérale, ainsi que de la froideur d’une bourgeoisie qui croit n’avoir plus besoin d’un « sauveur » des acquis révolutionnaires, la réaction « ultra » ne s’étant pas encore fait sentir.

Cependant, face aux 700 000 soldats coalisés qui marchent sur la France, Napoléon 1er accomplit, en moins de trois mois, la prouesse d’organiser la défense du territoire et de mettre sur pied une armée de manœuvre de plus de 200 000 hommes alors que Louis XVIII a réduit le budget militaire de 70% et licencié la moitié des effectifs !

Ainsi, au lieu d’attendre l’invasion ennemie, conformément à son tempérament, Napoléon 1er décide-t-il d’attaquer, le 15 juin 1815 en Belgique, avec l’armée du Nord (renforcée de la Garde impériale et de la réserve de cavalerie), les forces anglaises (sous Wellington) et prussiennes (sous Blücher), à la fois les plus proches, les plus représentatives et, chacune prise à part (respectivement 97 000 et 117 000 hommes), inférieures en nombre aux siennes (123 000 hommes), ce afin d’obtenir une victoire éclatante, laquelle « porterait un coup qui frapperait la France d’admiration et les Alliés de confusion » *2, forçant ces derniers à négocier.

N’étant pas assez fort numériquement pour employer sa tactique de prédilection visant à couper la ligne de retraite de l’ennemi : la manœuvre « sur les derrières », Napoléon 1er met en œuvre une autre tactique privilégiée : la manœuvre « sur position centrale » *3. Grâce à une excellente préparation, son armée réussit à faire irruption entre les forces anglaises et les forces prussiennes en vue de les réduire l’une après l’autre.

Le 16 juin 1815, tandis que le maréchal Ney est chargé de repousser les Anglais aux Quatre-Bras avec le 1er corps d'armée (21 000 hommes sous Drouet) et le 2e corps (25 000 hommes sous Reille), Napoléon affronte les Prussiens à Ligny avec le 3e corps (17 500 hommes sous Vandamme), le 4e corps (15 500 hommes sous Gérard), le 6e corps (10 500 hommes sous Mouton) de renfort (le 5e corps sous Rapp étant à Strasbourg pour ralentir la progression des Russes), la Garde impériale (20 000 hommes sous Drouot) et la réserve de cavalerie (13 500 hommes sous Grouchy).

Les Prussiens, pourtant supérieurs en nombre, attirés et fatigués sur leur droite, fixés sur leur gauche, percés au centre, sont contraints de battre en retraite, mais, quoique éprouvés, ils sont loin d’être anéantis, car leur 4e corps n’est pas intervenu, et le 1er corps français, rappelé par Napoléon en vue de les prendre à revers, n’est parvenu ni aux Quatre-Bras ni à Ligny. Je profite de l’occasion pour honorer, une fois n’est pas coutume, les fantassins français de la Ligne, en l’occurrence ceux des divisions Pécheux et Vichery du corps de Gérard, lesquelles, par trois fois repoussées par les Prussiens solidement retranchés dans le village de Ligny, sont, malgré une pluie de boulets et de balles, reparties rageusement à l’assaut et se sont battues pendant plusieurs heures au corps à corps dans les rues et les maisons forçant l’ennemi à engager en vain deux brigades en renfort !



« La marche des cuirassiers » et « La victoire est à nous » (jouées à Ligny) sur Youtube



Napoléon est persuadé que les Prussiens se replient vers leurs bases alors que Blücher met tout en œuvre pour tenir sa promesse de rejoindre Wellington. De plus, l’Empereur des Français n’écoute pas son chef d’état-major général, le maréchal Soult, qui lui conseille de ne pas détacher autant d’effectifs (le 3e, le 4e corps et la moitié de la réserve de cavalerie, avec le corps de cavalerie légère de Pajol et le corps de cavalerie de ligne d'Exelmans, soit, malgré les pertes à Ligny, plus de 30 000 hommes) sous le maréchal Grouchy afin de poursuivre tardivement les Prussiens *4.

De son côté, Wellington, poursuivi par Ney, à la suite de sanglants combats aux Quatre-Bras, assuré du soutien de Blücher, se retranche sur le plateau de Mont-Saint-Jean au sud de Bruxelles et du village de Waterloo. Le 18 juin, Napoléon y rejoint le 1er et le 2e corps (plus que 16 000 hommes après les pertes aux Quatre-Bras, la division Girard étant restée à Ligny) avec le 6e corps (moins la division d'infanterie Teste, mais plus les deux divisions de cavalerie légère Domon et Subervie, soit environ 10 000 hommes), la Garde et le reste de la réserve de cavalerie (corps de grosse cavalerie de Milhaud et Kellermann, soit 6000 hommes). Les deux adversaires disposent chacun d’environ 73 000 hommes (Wellington ayant laissé près de 20 000 hommes en arrière et subi, aux Quatre-Bras, des pertes équivalentes à celles des Français) ; si ces derniers bénéficient d’une supériorité notable en artillerie, ils font face aux pentes boueuses d’un plateau coupé de haies et de chemins creux, en avant duquel les Anglais ont fortifié trois ensembles de bâtiments en pierre comme points d’appui : le château de Gomont (dit au Goumont, déformé en Hougoumont), les fermes de la Haie-Sainte et de Papelotte.




Disposition des armées avant la bataille.



Le plan de Napoléon consiste à fixer Wellington sur sa droite et à l’enfoncer sur sa gauche afin de s’ouvrir la route de Bruxelles. L’Empereur, qui croit les Prussiens définitivement hors jeu, accepte de retarder le début de la bataille de plusieurs heures pour permettre à l’artillerie de mieux manœuvrer sur un sol détrempé par les pluies torrentielles de la nuit* : erreur fatale, car si Napoléon avait déclenché l'offensive à 9 h du matin comme prévu, selon l’historien belge Jacques Logie, pourtant défavorable à l’Empereur, « il n'est pas douteux que l'armée de Wellington, très éprouvée, n'aurait pu résister à une troisième attaque générale menée par l'infanterie de Lobau [6e corps de renfort] et de la Garde » *5, forces qui devront s’opposer aux Prussiens.

* Le général Drouot avouera avoir donné ce conseil alors que les observateurs d'artillerie ont indiqué que les batteries pourraient prendre position dès 8 h du matin, certes avec quelques difficultés, lesquelles seraient bien diminuées une heure plus tard !

Cela dit, certains auteurs affirment que l’Empereur ne semble pas au mieux de sa forme, victime d’une douloureuse indisposition qui réduira ses déplacements et ses capacités *6 tandis que Wellington se dépensera sans compter pour encourager ses hommes et faire colmater les brèches.

Quoi qu’il en soit, l’attaque de diversion, lancée vers 11 h 30 par une partie du 2e corps (division Jérôme Bonaparte, puis une brigade de la division Foy) contre le fort de Gomont sur la droite anglaise, et qui dure toute la journée, aboutit à incendier et à ruiner la position, mais pas à la conquérir. Tout d'abord, la 1ère brigade (Baudouin) de la division du prince Jérôme chasse les troupes anglaises et alliées du bois devant le château et essaie, en vain, de forcer la porte sud. Fusillée de face et de flanc par les défenseurs, pilonnée par l'artillerie britannique, elle se replie, mais repart bien vite à l'assaut : la garnison ayant été renforcée, elle échoue de nouveau. Cependant, le 1er régiment d'infanterie légère contourne les bâtiments : un peloton réussit à pénétrer dans l'enceinte par la porte nord, mais il est massacré. Pendant ce temps, la 2e brigade (Soye) s'empare du verger : sous le feu des fusils et des canons ennemis, contre-attaquée par les gardes anglais, elle ne peut se maintenir. Ensuite, vers 14 h, soutenue par une brigade de la division Foy, la division Jérôme Bonaparte attaque pour la troisième fois le fort de Gomont qu'elle tente de tourner, mais elle est repoussée par de nouvelles forces britanniques. Vers 15 h, le prince Jérôme fait incendier les bâtiments par une batterie d'obusiers : dans les ruines, des combats acharnés se poursuivent sans succès pour les Français.

Sur la gauche anglaise, après une préparation d’artillerie d’une « grande batterie » de quatre-vingts canons – laquelle n’a pas l’efficacité souhaitée, puisque les boulets ne ricochent pas dans la boue – l’attaque principale est lancée vers 14 h par l’ensemble du 1er corps (quatre divisions d’infanterie).

A gauche du champ d’action, la division Quiot parvient sous les murs de la ferme de la Haie-Sainte, où les troupes anglaises sont expulsées du verger et du jardin, mais, à cause du reflux des autres unités françaises, elle doit abandonner le terrain malgré l'efficace soutien d'une brigade de cuirassiers (Travers) de la division de grosse cavalerie Watier (avec mon ancien régiment, le 12e cuir, commandé par le colonel Thurot). A droite, la division Durutte menace la ferme de Papelotte.

Au centre, la division Donzelot repousse la brigade néerlandaise Bijlandt, mais doit reculer face à la brigade anglaise de réserve Kempt. Cependant, la division Marcognet bouscule la brigade écossaise Pack et réussit à percer le front britannique ! *7 Wellington ordonne alors de charger aux deux brigades de grosse cavalerie Somerset et Ponsonby : ne pouvant former à temps des carrés, les divisions françaises refluent en désordre, mais la cavalerie anglaise est finalement arrêtée et décimée par les cuirassiers et les lanciers français.

Entre-temps, comme les premières troupes prussiennes commencent à apparaître sur les arrières des Français, Napoléon envoie le 6e corps de réserve prendre position dans leur direction. Les Prussiens étant de plus en plus nombreux, l’Empereur le renforcera avec la division de Jeune Garde, puis avec un régiment de Vieille Garde, se privant ainsi d’une grande partie de ses réserves destinées à achever les Anglais…

A la suite de la fameuse exclamation de Victor Hugo (« Grouchy ! – C’était Blücher ! »), une grande question s’est longtemps posée : les forces de Grouchy auraient-elles pu intervenir sur le champ de bataille de Waterloo ? Même si un ordre tardif (mais un tel ordre n'a pas été retrouvé), qui n’aurait pu lui parvenir avant 16 h, lui avait commandé de rejoindre au plus vite la droite de l’armée principale, il serait, d’après Thierry Lentz, « arrivé sur le terrain […] au moment où la défaite était consommée » *8. Toutefois, on peut lui reprocher, non de n'avoir pas « marché au canon », car il était normal que le « brutal » tonne à Mont-Saint-Jean*, mais d’avoir poursuivi les Prussiens avec mollesse même s’il a réussi à bouter le corps de Thielmann hors de Wavre et, ensuite, à rallier plus de cinquante mille hommes qu'il a ramenés en France à la grande fureur de Blücher.

* Bataille de Mont-Saint-Jean pour les Français, de Belle-Alliance pour les Prussiens et de Waterloo pour les Anglais.

Entre 15 h 30 et 16 h, après que le maréchal Ney a vainement tenté de s'emparer, de nouveau, de la Haie-Sainte, Wellington réorganise le front entre cette ferme fortifiée et le château de Gomont : Ney croit à un mouvement de repli ; il lance les deux divisions de cuirassiers Watier et Delort du corps de Milhaud. Pour une raison inconnue, elles sont suivies par la division de cavalerie légère Lefebvre-Desnouettes de la Garde. Bien qu’estimant cette charge prématurée, Napoléon la fait soutenir par les deux autres divisions de cuirassiers Lhéritier et Roussel d'Hurbal du corps de Kellermann, suivies par la division de grosse cavalerie Guyot de la Garde.

Ainsi, pendant deux bonnes heures, dans les pires conditions de terrain, près de dix mille cavaliers français, sur un front trop étroit entre les deux points d’appui anglais, se précipitent, sans soutien d’infanterie et peu d’artillerie à cheval, sur les carrés ennemis encore intacts, insuffisamment bombardés, bien pourvus en artillerie et organisés en profondeur derrière les chemins creux et les crêtes. Le tir dense et précis des excellents canons et fusils britanniques fait des ravages parmi les cavaliers trop concentrés qui effectuent pourtant de nombreuses charges. En fin de compte, les carrés sont ébranlés, amenuisés, mais ne sont pas disloqués.



Source : Charge of the Cuirassiers at Waterloo by Mark Churms.





Charge des cuirassiers français contre les carrés anglais.


Les cuirassiers, la cavalerie impériale, la charge et mon ancien régiment, le 12e cuir



A 18 h 30, grâce à l’énergie de Ney et à l’action conjointe des fantassins du 1er corps (division Quiot) et du 2e corps (division Bachelu), le point d’appui central du dispositif de défense anglais, la ferme fortifiée de la Haie-Sainte, incendiée, tombe enfin aux mains des Français ! Afin de pousser son avantage sur une ligne anglaise mise à mal par les divisions Quiot, Donzelot et Marcognet (1er corps), Foy (une brigade) et Bachelu (2e corps), déployées en tirailleurs, ainsi que par une batterie d'artillerie à cheval, Ney réclame de l’infanterie fraîche, mais, la pression des Prussiens s’accroissant, Napoléon ne fait pas encore donner les unités disponibles de la Garde alors que la situation de Wellington est critique.

Ce n’est qu’à 19 h 30 que l’Empereur, ayant assuré ses arrières pour un moment, lance cinq bataillons (moins de trois mille hommes) de la Moyenne Garde à l’assaut au-dessus de la Haie-Sainte. Le sixième bataillon de la Moyenne Garde étant détaché vers le fort de Gomont, trois bataillons de la Vieille Garde restent en réserve au pied du plateau, deux autres soutenant la Jeune Garde à Plancenoit contre les Prussiens, les trois derniers protégeant le Grand Quartier général du Caillou.

A droite, malgré le feu meurtrier de deux batteries qui croisent leur tir et la fusillade nourrie des troupes de ligne, un seul bataillon de grenadiers français culbute deux bataillons alliés et repousse deux régiments anglais dont le reflux tourne à la déroute. Un peu plus loin sur la gauche, un autre bataillon de grenadiers enfonce les deux autres régiments de la brigade britannique : la percée semble réalisée ! *9 Hélas, surgissent une brigade de cavalerie anglaise et une brigade hollando-belge d'infanterie fraîche précédées de batteries à cheval qui tirent de plein fouet à mitraille. Quinze cents cavaliers et trois mille cinq cents fantassins, sans compter ceux de la ligne, contre un millier d'hommes : même les soldats d'élite de la Garde ne peuvent résister et se replient en combattant, en bon ordre.

A gauche, deux bataillons de chasseurs français attaquent la brigade anglaise des gardes, plus nombreuse et bien retranchée. Fonçant à travers la mitraille, ils chassent les artilleurs de trois batteries, mais les gardes anglais demeurent invisibles : les soldats se sont en effet couchés dans les blés et, d'un seul coup, se dressent et fusillent les grognards à bout portant. La décharge est dévastatrice. En une minute, trois cents hommes sont mis hors de combat ! Les chasseurs, surpris, tentent de se déployer, mais les Britanniques chargent et les soldats de la Garde impériale, bousculés par la fusillade, sont contraints de reculer pas à pas dans un furieux corps à corps. Cependant, le dernier bataillon de chasseurs arrive et les grognards contre-attaquent violemment malgré leurs pertes. Sans attendre le choc, les gardes anglais refluent en désordre. Heureusement pour eux, une nouvelle brigade britannique, appuyée par de la cavalerie, vient à leur secours sur le flanc des chasseurs. Selon Jacques Logie, « accablés par le nombre, fusillés de face et de côté, écharpés par le feu concentrique de l'artillerie, les grognards de la Garde impériale rétrogradent en bon ordre » *10.

De nombreux témoins soulignent la violence et l’âpreté des combats, la résistance des troupes anglo-hanovriennes et hollando-belges de Wellington (qui luttent, il est vrai, à 73 000 contre 58 000 Français, 15 000 se battant à Plancenoit contre au moins 35 000 Prussiens des corps de Bülow et de Pirch I), la volonté de vengeance des troupes prussiennes de Blücher, qui vont sabrer sans pitié les fuyards, l’enthousiasme des troupes françaises, puis leur épuisement face à un adversaire près de deux fois plus nombreux. Clausewitz précise : « [...] de l'aveu de tous les témoins oculaires […] la situation de Wellington, à cinq heures de l'après-midi, [est] déjà très difficile, sans qu'un seul homme du 6e corps et de la Garde [ait] combattu contre lui [;] il faut reconnaître en cela la supériorité des troupes françaises. » *11

Plus tard, au moment de la déroute française causée par l'irruption de nouvelles forces prussiennes (corps de Zieten) sur les arrières et le sentiment d’avoir été trahi, tandis que la Jeune Garde se fait tuer sur place en défendant le village de Plancenoit, la Vieille Garde, formée en carrés, fait front et tient ferme. Décimée par les assauts conjugués de l'infanterie, de la cavalerie et de l'artillerie alliées, elle serre les rangs, puis se replie lentement en triangles, marquant le pas comme à l'exercice pour repousser les attaques et se reformer *12. Echappant au déluge de feu, les survivants se réunissent en colonnes et couvrent la retraite, définitive, de l'Empereur...



« La grenadière » (jouée à Waterloo par les tambours du 1er grenadiers sous Petit pour regrouper la Vieille Garde) sur Youtube


Napoléon a commis deux grosses erreurs : celle d'avoir commencé tardivement la bataille et celle d'avoir envoyé tardivement trop de forces à la poursuite des Prussiens, mais ces deux erreurs tactiques se ramènent, en fait, à une seule erreur stratégique : celle d'avoir cru que Blücher n'allait pas rejoindre Wellington et ainsi le sauver !


*1 Thierry LENTZ, Waterloo 1815, Paris, Perrin, 2015
*2 Carl von CLAUSEWITZ, Campagne de 1815 en France, Paris, Ivrea, 1993
*3 Hubert CAMON, La guerre napoléonienne. Les systèmes d'opérations. Théorie et technique, Paris, Institut de stratégie comparée, Economica, 1997
*4 Emmanuel de GROUCHY, Relation succincte de la campagne de 1815 en Belgique, Paris, Delanchy, 1843
*5 Jacques LOGIE, Waterloo, l'évitable défaite, Louvain-la-Neuve, Duculot, 1989
*6 Thierry LENTZ, op. cit.
*7 Jacques LOGIE, op. cit.
*8 Thierry LENTZ, op. cit.
*9 Jacques LOGIE, op. cit.
*10 Ibid.
*11 Carl von CLAUSEWITZ, op. cit.
*12 Jacques LOGIE, op. cit.



Napoléon ne s'attendait pas à l'arrivée des Prussiens à Waterloo (1)


(Stéphane BERAUD, La révolution militaire napoléonienne, tome 2 « Les batailles », Paris, Bernard Giovanangeli éditeur, 2013)


Après la défaite prussienne de Ligny, Napoléon s'est persuadé que Wellington ne pouvait que se replier. Il n'avait pas prévu qu'il accepterait la bataille à Waterloo, car il ne pouvait pas imaginer que Blücher viendrait le soutenir si peu de temps après Ligny. Plusieurs indices et témoignages confirment cette conviction de Napoléon. [...][D'autre part, au sujet du rapport avec Grouchy,] la seule [dépêche] indiscutable est celle [...] envoyée par Soult [de la part de Napoléon à Grouchy] le 18 juin à dix heures du matin, [dont] le contenu exact reste sujet à caution puisque seule une copie du registre d'ordres de Soult, effectuée par Grouchy, est parvenue jusqu'à nous. D'après cette copie, [il est ordonné] à Grouchy de se porter sur Wavre [à une quinzaine de kilomètres à vol d'oiseau à l'est de Waterloo sur la rivière Dyle] tout en liant ses communications avec Napoléon. Il n'est pas question, à ce moment, de rejoindre l'armée principale pour la soutenir contre Wellington.



Napoléon ne s'attendait pas à l'arrivée des Prussiens à Waterloo (2)


(Extrait d'une lettre écrite en 1830 par le général de Marbot au général de Grouchy in Mémoires, tome 2, Paris, Mercure de France, 1983)


Le 7e [régiment] de hussards, dont j'étais colonel, faisait partie de la division de cavalerie légère [Jacquinot] attachée au 1er corps [Drouet] formant, le 18 juin [1815], la droite de la portion de l'armée que l'Empereur commandait en personne. Au commencement de l'action, vers onze heures du matin, je fus détaché de la division avec mon régiment et un bataillon d'infanterie placé sous mon commandement. Ces troupes furent mises en potence à l'extrême droite derrière Frichemont, faisant face à la [rivière] Dyle [au-delà de laquelle progressaient les Prussiens suivis par les forces de Grouchy]. Des instructions particulières me furent données de la part de l'Empereur par son aide de camp Labédoyère et un officier d'ordonnance [...]. Elles prescrivaient de laisser le gros de ma troupe toujours en vue du champ de bataille, de porter deux cents fantassins dans le bois de Frichemont, un escadron [de hussards] à Lasne, poussant des postes jusqu'à Saint-Lambert, un autre escadron moitié à Couture, moitié à Beaumont, envoyant des reconnaissances jusque sur la Dyle aux ponts de Moustier et d'Ottignies. [...] Il m'était enfin ordonné d'envoyer directement à l'Empereur les avis que me transmettraient ces reconnaissances. [...] Un de mes pelotons, s'étant avancé à un quart de lieue au-delà de Saint-Lambert, rencontra un peloton de hussards prussiens, auquel il prit plusieurs hommes dont un officier. Je prévins l'Empereur de cette étrange capture, et lui envoyai les prisonniers. Informé par ceux-ci qu'ils étaient suivis par une grande partie de l'armée prussienne, je me portai avec un escadron de renfort sur Saint-Lambert. J'aperçus au-delà une forte colonne se dirigeant vers Saint-Lambert. J'envoyai un officier à toute bride en avertir l'Empereur qui me fit répondre d'avancer hardiment, que cette troupe ne pouvait être que le corps du maréchal Grouchy venant de Limal et poussant devant lui quelques Prussiens égarés dont faisaient partie les prisonniers que j'avais faits. J'eus bientôt la certitude du contraire. La tête de la colonne prussienne approchait, quoique très lentement. Je rejetai deux fois dans le défilé les hussards et lanciers qui la précédaient. Je cherchais à gagner du temps en maintenant le plus possible les ennemis qui ne pouvaient déboucher que très difficilement des chemins creux et bourbeux dans lesquels ils étaient engagés, et, lorsque, enfin, contraint par des forces supérieures, je battais en retraite, l'adjudant-major, auquel j'avais ordonné d'aller informer l'Empereur de l'arrivée positive des Prussiens devant Saint-Lambert, revint en me disant que l'Empereur prescrivait de prévenir de cet événement la tête de colonne du maréchal Grouchy qui devait déboucher en ce moment par les ponts de Moustier et d'Ottignies [selon l'Empereur][...]. J'écrivis à cet effet au capitaine Eloy [qui commandait le détachement de pointe vers les ponts de la Dyle], mais celui-ci, ayant vainement attendu sans voir paraître aucune troupe [française][...], se replia [...] et rejoignit le gros du régiment, resté en vue du champ de bataille [de Waterloo], à peu près au même instant que les escadrons qui revenaient de Saint-Lambert et Lasne, poussés par l'ennemi. [...] Je pense qu'il pouvait être à peu près sept heures du soir. [...] Tel est le précis du mouvement que fit le régiment que je commandais pour éclairer, pendant la bataille de Waterloo, le flanc droit de l'armée française. [...] Des faits que je viens de raconter est résulté pour moi la conviction que l'Empereur attendait, sur le champ de bataille de Waterloo, le corps du maréchal Grouchy. Mais sur quoi cet espoir était-il fondé ? C'est ce que j'ignore et je ne me permettrai pas de juger, me bornant à la narration de ce que j'ai vu. [...]



Carrière militaire du général de Marbot jusqu'en 1815


Le général Jean-Baptiste-Antoine-Marcellin de Marbot est le fils du général de division Antoine de Marbot.
le 18 août 1782 au château de Larivière à Altillac (Corrèze).
Engagé dans l'armée comme simple soldat au 1er régiment de hussards le 28 septembre 1799.
Maréchal des logis le 1er décembre 1799.
Sous-lieutenant le 31 décembre 1799.
Affecté au 25e régiment de chasseurs à cheval le 11 juin 1801.
Envoyé à l'école de cavalerie de Versailles le 12 septembre 1802.
Nommé aide de camp du général Augereau le 31 août 1803.
Lieutenant le 11 juillet 1804.
Capitaine le 3 janvier 1807.
Décoré de la croix de la Légion d'honneur le 29 octobre 1808 pour acte d'exceptionnelle bravoure à Eylau.
Nommé aide de camp du maréchal Lannes le 2 novembre 1808.
Chef d'escadron le 3 juin 1809.
Nommé aide de camp du maréchal Masséna le 18 juin 1809.
Affecté au 1er régiment de chasseurs à cheval le 23 novembre 1811.
Affecté au 23e régiment de chasseurs à cheval le 28 janvier 1812.
Colonel du 23e chasseurs le 15 novembre 1812.
Officier de la Légion d'honneur le 28 septembre 1813.
Colonel du 7e hussards le 8 octobre 1814.
A Waterloo colonel du 7e hussards chargé d'éclairer la droite de l'armée.
Blessé par un coup de baïonnette dans le bras en 1807, de sabre au front en 1808 et dans le ventre en 1811, d'épée au visage en 1811.
Blessé par un coup de lance au genou en 1812, dans la cuisse en 1813 et dans la poitrine à Waterloo.
Blessé par un coup de feu dans la poitrine et au poignet en 1809, à l'épaule en 1812.
Blessé par le passage d'un boulet près du visage en 1807 (forte commotion) et un biscaïen dans la cuisse en 1809.



Anecdote rapportée par le capitaine anglais Cavalié Mercer de la Royal Horse Artillery (traduction libre)


Le lendemain de la bataille, j'avisai un groupe de prisonniers français parmi lesquels se trouvait un lancier de la Garde qui exhortait ses camarades à ne pas se laisser aller en présence de l'ennemi et à supporter leurs souffrances comme des hommes. Le lancier avait perdu une main, avait été plusieurs fois touché par balles et souffrait d'une fracture à la jambe. Ses souffrances, après une nuit passée dehors, devaient être énormes, mais il n'en trahissait rien ; son comportement était celui d'un Romain. Je ne pouvais qu'éprouver la plus haute vénération pour ce brave et je le lui dis, tout en lui offrant la seule chose dont je disposais alors : un peu d'eau fraîche, et l'assurance que les ambulances allaient bientôt passer chercher les blessés. Il me remercia avec la grâce toute particulière des Français.



Composition de l'armée française à Waterloo


1er CORPS (lieutenant-général Drouet) 2e CORPS (lieutenant-général Reille) 6e CORPS (lieutenant-général Mouton)
1ère division d'infanterie (Quiot) 5e division d'infanterie (Bachelu) 19e division d'infanterie (Simmer)
2e division d'infanterie (Donzelot) 6e division d'infanterie (Jérôme Bonaparte) 20e division d'infanterie (Jannin)
3e division d'infanterie (Marcognet) 7e division d'infanterie (Girard) RESTEE A LIGNY 3e division de cavalerie légère (Domon)
4e division d'infanterie (Durutte) 8e division d'infanterie (Foy) 5e division de cavalerie légère (Subervie)
1ère division de cavalerie légère (Jacquinot) 2e division de cavalerie légère (Piré)

GARDE IMPERIALE (lieutenant-général Drouot) 3e CORPS DE CAVALERIE (lieutenant-général Kellermann) 4e CORPS DE CAVALERIE (lieutenant-général Milhaud)
Grenadiers à pied, Vieille et Moyenne Garde (Friant) 11e division de dragons et cuirassiers (Lhéritier) 13e division de cuirassiers (Watier)
Chasseurs à pied, Vieille et Moyenne Garde (Morand) 12e division de carabiniers et cuirassiers (Roussel d'Hurbal) 14e division de cuirassiers (Delort)
Voltigeurs, Jeune Garde (Duhesme)
Tirailleurs, Jeune Garde (Barrois)
Cavalerie légère (Lefebvre-Desnouettes) Chasseurs à cheval, Vieille Garde (Lallemand) Chevau-légers lanciers, Vieille Garde (Colbert)
Grosse cavalerie (Guyot) Grenadiers à cheval, Vieille Garde (Dubois) Dragons de l'Impératrice, Vieille Garde (Letort)



Le fusil de l'infanterie française (modèle 1777 corrigé an IX)


Source : Wikimedia Commons.



Caractéristiques Mécanisme : platine à silex Emploi : commandements réglementaires de la charge en douze temps
Poids du fusil près de 4,5 kg 1er temps : CHARGEZ (l'arme)
Longueur du fusil 1,52 m 2e temps : OUVREZ (le bassinet)
Longueur du canon 1,14 m 3e temps : PRENEZ (la cartouche dans la giberne)
Longueur avec baïonnette (45 cm, lame de 38 cm) 1,90 m 4e temps : DECHIREZ (la cartouche avec les dents)
Calibre du canon 17,5 mm 5e temps : AMORCEZ (versez un peu de poudre dans le bassinet)
Calibre et poids de la balle 16,5 mm et 27,2 g à l'origine
16 mm et 24,4 g depuis 1792
6e temps : FERMEZ (le bassinet)
Poids de la charge de poudre 12,2 g 7e temps : A GAUCHE (l'arme au pied gauche)
Vitesse initiale de la balle 450 m/s au maximum 8e temps : CARTOUCHE (introduisez le reste de poudre et la balle dans le canon)
Portée utile près de 1000 m 9e temps : TIREZ (la baguette)
Portée pratique environ 250 m 10e temps : BOURREZ (la cartouche au fond du canon)
Energie cinétique 1250 joules à 200 m 11e temps : REMETTEZ (la baguette)
Pénétration environ 5 cm de sapin à 200 m 12e temps : PORTEZ (l'arme à l'épaule)
Cadence de tir 2 à 3 coups/mn

1 Tir. APPRETEZ (relevez le chien à l'armé), JOUE (épaulez et visez), FEU (pressez la queue de détente).

2 Fonctionnement de la platine à silex + animation (Source : Wikimedia Commons). Lorsqu’on relève le chien à l’armé, c’est-à-dire au second cran vers l’arrière, celui-ci, à l'intérieur de la platine, fait tourner une pièce circulaire, la noix, et passer le bec de la gâchette d’une encoche où il est bloqué à une autre où il est juste maintenu. Quand on appuie sur la queue de détente, la gâchette libère la noix qui, sous l’effet d’un grand ressort comprimé, rabat le chien et sa pierre sur la batterie produisant une étincelle enflammant la poudre dans le bassinet, laquelle, par le canal de la lumière, met le feu à la poudre dans le canon, ce qui propulse la balle avec un fort recul et beaucoup de fumée.

3 Fiabilité. L'arme est robuste (25 000 coups), mais elle s'encrasse facilement à cause de la poudre noire* : tous les cinquante ou soixante coups environ, la lumière doit être nettoyée avec l'épinglette, le canon lavé et graissé ; le silex devant être aussi changé. Cependant, même si l'arme est propre, avec une batterie sèche et un silex en bon état, il y a, en moyenne, un raté sur quinze coups.

* 3/4 de salpêtre, 1/8 de charbon de bois, 1/8 de soufre, à gros grains : de 300 à 400 pour un gramme.

4 Précision et pouvoir vulnérant. Pouvant blesser jusqu'à près de 1000 mètres, la balle d'un fusil, qui tire horizontalement, a, à partir d'environ 250 m, de bonnes chances de toucher une cible humaine si le tireur vise le haut du chapeau, et de plus en plus bas au fur et à mesure que la cible se rapproche. En fait, selon des essais effectués en 1817 avec des balles de 16 mm (20 à la livre), utilisées à partir de 1792, il y a 75% de chances d'atteindre la cible à 100 m, 60% à 125 m, 45% à 150 m, 30% à 175 m et 20% à 200 m ; avec des balles de 16,5 mm (18 à la livre), les résultats sont de 15% supérieurs, soit 90, 75, 60, 45 et 35%. Toutefois, malgré ce manque de précision, dans une bataille, où un soldat vise rarement un individu précis, le feu de file a un effet dévastateur à relativement courte distance sur une troupe qui s'avance en ordre serré : comme on le voit ci-dessus lors de la dernière charge de la Garde, en une minute, trois cents hommes sont mis hors de combat par la salve de la ligne anglaise. En raison du gros calibre et de la vitesse réduite du projectile, celui-ci demeure la plupart du temps dans le corps, où il cause des plaies importantes, souvent mortelles ou nécessitant l'amputation d'un membre, dont l'os est brisé.



Les « dents de Waterloo » et les « dents du bonheur »


Pour déchirer la cartouche, il faut de bonnes dents !

Les « dents de Waterloo »

Même si les fausses dents en porcelaine, remplaçant celles en ivoire, ont été fabriquées à la fin du 18e siècle par un dentiste français et produites en grand nombre à partir de 1840, où l’on a mis au point leur fixation sur une prothèse en caoutchouc, jusque vers 1860, il était d’usage de confectionner la plupart des dentiers avec de vraies dents achetées aux pauvres ou récupérées sur les jeunes morts, notamment les soldats. Comme la bataille de Waterloo a fourni un grand nombre de ces dents, les râteliers ont souvent été appelés « dents de Waterloo » !

Les « dents du bonheur » ou « dents de la chance », qui désignent un léger écartement entre les incisives supérieures, n'étaient pas un motif de réforme.

Quand on cherche la raison de cette dénomination, que ce soit sur le site de plusieurs grands organes de presse et même sur celui du ministère de la Défense, qui ont l'air, d'ailleurs, de se copier ! on tombe invariablement sur l'explication suivante : cette appellation date de la période révolutionnaire, puis impériale, où les conscrits ayant des incisives supérieures écartées auraient été réformés parce qu’ils n’auraient pu déchirer une cartouche, et donc auraient eu le bonheur ou la chance de ne pas aller à la guerre !

Toutefois, cette explication, quoique répétée, est sans doute fausse !

En effet, d'une part, ce « diastème » n'empêche nullement de déchirer une cartouche et, surtout, d'autre part, il n'est pas mentionné dans la longue liste des motifs de réforme du code de la conscription de 1805, où seul celui qui est privé de ses incisives ne peut devenir un soldat de la ligne ! Et, vu le besoin de soldats, on imagine aisément qu'on n'allait pas rajouter, dans la pratique, un motif non prévu par le code et parfaitement injustifié !

« Code de la conscription ou recueil des lois et des arrêtés du gouvernement, des décrets impériaux relatifs à la levée des conscrits, à leur remplacement, aux dispenses de service, etc. depuis l’an VI jusques et y compris l’an XIII (publié en 1805).
Instruction du 11 germinal an VII du ministre de la Guerre […] relative aux dispenses de service militaire […].
IIe TABLEAU : « Des infirmités ou des maladies qui donnent lieu à l’invalidité absolue ou relative pour le service militaire. »
7° La perte des dents incisives et canines de la mâchoire supérieure ou inférieure ; les fistules des sinus maxillaires ; la difformité incurable de l’une ou l’autre mâchoire, par perte de substance, par nécrose ou autre accident capable d’empêcher de déchirer la cartouche, susceptible de gêner la mastication et de nuire au libre exercice de la parole.
Celui qui est privé des dents incisives et canines ne saurait convenir comme soldat dans la Ligne ; il peut être employé dans d’autres services à l’armée. »




Lire les cinq premiers chapitres de La chartreuse de Parme de Stendhal.




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Alain Cerri : E-mail.