HISTOIRE DE LA SAVOIE – History of Savoy

HISTOIRE DE LA SAVOIE – History of Savoy

Page Alain Cerri : modifiée et augmentée le 13 février 2024 (QUIZ à la fin !).



POURQUOI LA PROVINCE S'APPELLE-T-ELLE SAVOIE ? Voir l'explication argumentée.

English.


Allobroges vaillants ! dans vos vertes campagnes,
Accordez-moi toujours asile et sûreté,
Car j'aime à respirer l'air pur de vos montagnes ;
Je suis la Liberté ! la Liberté !


(Le chant des Allobroges, hymne de la Savoie sur Youtube) (Historique et différentes versions du chant des Allobroges)



Nihil tam alte natura constituit, quo uirtus non possit eniti, « La nature n'a rien établi de si haut [en parlant des montagnes] que [littéralement] la vertu ne puisse s'y élever ([ou] le courage y atteindre) », Quinte Curce (Quintus Curtius Rufus), De rebus gestis Alexandri Magni, livre VII, chapitre 11, § 10.


D'emblée, soyons clair : un Savoyard ou Savoisien ou Savoyen est un natif de Savoie ; un pur Savoyard est une fiction. Mais, pour faire un Savoyard, peut-être faut-il aussi un sentiment d'appartenance à la Savoie !
Actuellement, un individu originaire de Savoie est appelé un Savoyard, terme issu du piémontais Savoiardo et apparu après 1562 lorsque la capitale des Etats de Savoie a été transférée à Turin. Si ce mot s'est ensuite largement répandu à l’extérieur du duché et a pris, surtout au XIXe siècle, une connotation dépréciative, voire injurieuse, de rustre, en raison de certains métiers peu valorisés exercés par les émigrants, selon E. Pascalein, les gens du peuple se nommaient plutôt Savoyens tandis que les lettrés et les gentilshommes se disaient Savoisiens.

Et, pour l'oreille, un dernier mot, par exemple, sur le nom savoyard de la commune de Villaz (terme issu du latin villa/ae, « propriété agricole », avec sa pars urbana pour l'habitation, et sa pars rustica pour l'exploitation) : la plupart des touristes et certains immigrants récents en Savoie le prononcent Villaze (sic) alors qu'ils ne disent pas Aveze-vous (sic), tandis que des Savoyards font entendre Villa et d'autres Ville. En fait, en francoprovençal, un z à la fin d'un mot ne se prononce pas ; il indique simplement que la dernière voyelle est atone, donc, dans l'exemple, on doit dire Vill(a), sans accentuer le a, une prononciation entre le e muet français et le a final italien non accentué (dans la région de Thorens, on disait Vèl(a) selon l'enquête de Christine Bernard en 2011).


Table des matières :

Carte de la Savoie (serveur Savoie) et des zones franches

Savoy, a historical region - La Savoie, une région historique (Alain Cerri)

Le duché de Savoie vu par l'historien Paul Guichonnet

Le caractère savoyard selon Paul Guichonnet

Etats de la maison de Savoie (Alain Cerri)

La devise de la maison de Savoie (Alain Cerri)

Les princes qui ont fait la Savoie par l'historien Bernard Demotz

Le Sénat de Savoie (Alain Cerri)

La brigade de Savoie (Alain Cerri)

L'union de la Savoie du Nord à la Suisse envisagée au XIXe siècle ! (Alain Cerri)

Le francoprovençal par la linguiste Henriette Walter

Le francoprovençal, première langue parlée à Lyon vers 1550 (Alain Cerri)

Sur d'autres pages du site :

Sur l'étymologie du nom Savoie et la situation originelle de la Sapaudia (Alain Cerri)

La romanisation des Allobroges

Emigration et immigration en Savoie

Histoire de la ville d'Annecy

Origine du nom Annecy

Origine des noms Thiou et Fier

Annecy, étymologies locales en bref

Annecy au temps des Romains

Le centurion romain

La cavalerie romaine en Gaule avant les grandes invasions de 406

Histoire de l'Eglise catholique à Annecy

Histoire de l'abbaye de Sainte-Catherine

Histoire du prieuré de Talloires jusqu'au XVe siècle

La bataille des Glières

Mon père Roger dans la Résistance en Savoie (Glières)

Mon père Roger dans la bataille du mont Froid en haute Maurienne


Cartes de la Savoie et des zones franches


(Dès le XIIe siècle, la maison de Savoie adopte les armoiries du Saint Empire romain germanique et hésite longtemps entre deux bannières impériales : la bannière traditionnelle de l'empereur à aigle de sable en un champ d'or, attachée au comté de Maurienne, et sa bannière de guerre à croix d'argent sur champ de gueules qui s'impose sous Amédée V au début du XIVe siècle.)


Source : Robert F. Jeantet, Serveur Savoie.



Les départements actuels de la Savoie et de la Haute-Savoie en France correspondent :

  • en 1416, lors de l'érection du duché de Savoie, aux bailliages de Chablais, Faucigny, Genevois et Savoie (avec la Tarentaise et la Maurienne) ;

  • de 1718 à 1792, dans le royaume sarde, au duché de Savoie avec les intendances de Chablais, Faucigny, Carouge (1780), Genevois, Savoie propre, Tarentaise et Maurienne ;

  • de 1818 à 1860, au sein du royaume de Piémont-Sardaigne, au duché de Savoie avec les provinces de Chablais, Faucigny, Carouge (jusqu'en 1837), Genevois, Haute-Savoie, Savoie propre, Tarentaise et Maurienne.


    (Mon arrière-grand-père paternel, Elie Albert Volland, était douanier à la limite de la grande zone franche de Haute-Savoie à Thorens-Glières.)




    Savoy, a historical region - La Savoie, une région historique





    Savoy (originally a small land, an ancient pagus, then a county and, finally, a duchy, more than 4200 sq miles) is a historical region lying in the French Alps at the border of Italy and Switzerland.

    The land of Savoy was the cradle of the House of Savoy, the oldest ruling house in Europe, founded around 1000 by Humbert the Whitehanded and developed by the Counts, then Dukes of Savoy who created a sovereign state between the Kingdom of France and the Holy Roman Empire (capital Chambéry in Savoy, then Torino in Piedmont). In the beginning of the 18th century, the Dukes of Savoy became Kings of Sardinia.

    Often invaded by the French, Savoy, a duchy in the Sardinian States, was annexed by France during the French Revolution and was part of the First Empire. Afterwards, Savoy was returned to the Kingdom of Piedmont-Sardinia. But, in 1860, when the Dukes of Savoy became Kings of Italy, Savoy was given to France and the Savoyard people approved this transfer by plebiscite. From that time, the historical region of Savoy formed two French departments : Savoie (chief town Chambéry) and Haute-Savoie (chief town Annecy).


    Traduction en français.

    La Savoie (à l'origine une petite terre, antique pagus, puis un comté et, finalement, un duché de plus de 11000 km2) est une région historique qui s'étend dans les Alpes françaises à la frontière de l'Italie et de la Suisse.

    La terre de Savoie fut le berceau de la maison de Savoie, la plus vieille famille régnante en Europe, fondée vers l'an 1000 par Humbert aux Blanches Mains et développée par les comtes, puis ducs de Savoie qui créèrent un Etat souverain entre le royaume de France et le Saint Empire romain germanique (capitale Chambéry en Savoie, puis Turin en Piémont). Au début du XVIIIe siècle, les ducs de Savoie devinrent rois de Sardaigne.

    Souvent envahie par les Français, la Savoie, duché dans les Etats sardes, fut annexée par la France au cours de la Révolution française et fit partie du Premier Empire. Ensuite, elle fut rendue au royaume de Piémont-Sardaigne. Mais, en 1860, lorsque les ducs de Savoie devinrent rois d'Italie, la Savoie fut cédée à la France et la population savoyarde approuva cette cession par un plébiscite. Depuis cette époque, la région historique de la Savoie forme deux départements français : la Savoie (chef-lieu Chambéry) et la Haute-Savoie (chef-lieu Annecy).




    Le duché de Savoie vu par l'historien Paul Guichonnet



    (Histoire de la Savoie, Edouard Privat, 1973)



    Le duché de Savoie, situé à la charnière des Alpes franco-piémontaises et des Alpes centrales helvétiques, occupe une région privilégiée de franchissement entre l'axe rhodanien et la haute Italie et, à plus grande échelle, entre l'Europe nord-occidentale et la Méditerranée. D'où, dans la succession d'expansions et de compressions qui caractérisent son assiette territoriale, la fréquence des empiètements sur les espaces périphériques et les solidarités avec les contrées avoisinantes. Un peu comme la Suisse, mais avec un succès moins éclatant et moins durable, la Savoie s'est formée au long des routes et autour des cols. Elle a pu demeurer indépendante, en face des Etats riverains, en raison même de sa fonction instrumentale de gardienne des passages alpins les plus fréquentés [...]

    Berceau d'un Etat dont la direction lui échappe dès le début du XVIe siècle, la Savoie mêle ainsi son histoire à celle de la Bresse, de la Suisse romande, du Dauphiné, du Val d'Aoste et du Piémont. Il n'est pas toujours simple de distinguer en elle la province de l'Etat ni ce qui lui revient en propre dans l'évolution de la mosaïque de terres qui, du comté au duché, puis au royaume de Sardaigne, allait voir flotter l'étendard à croix blanche de sa dynastie de Chambéry à Turin, à Florence, à Naples, à Venise et à Rome...

    La Savoie conserve, dans la conscience de ses habitants, une identité fortement perçue. Elle exprime globalement l'appartenance à l'ancien duché, mais recouvre une série de variétés locales [...]

    Quand on observe les composantes fondamentales de l'histoire savoyarde, c'est l'ouverture vers l'extérieur qui l'emporte sur le repli. [...] L'émigration saisonnière, remède au surpeuplement, est un puissant véhicule de dépaysement et d'idées. La grande diaspora savoyarde peuple de ses marchands la Suisse, l'Alsace, la Franche-Comté et l'Allemagne méridionale [...]




    Le caractère savoyard selon Paul Guichonnet



    Le profond enracinement dans le terroir s'est combiné avec l'usage du monde et la séculaire appartenance à un Etat à cheval sur les Alpes pour donner au Savoyard une psychologie dont les caractères différentiels le distinguent vigoureusement de ses voisins.

    Individualiste, mais passionné de la chose publique ; humoriste plutôt que gai ; accueillant, mais d'abord réservé ; soldat courageux, c'est un esprit positif et juridique, davantage porté vers les sciences exactes et les affaires qu'enclin à la création artistique. Mais le trait distinctif de sa personnalité fut sans doute - et demeure - l'attachement au catholicisme, d'une tonalité salésienne, à la fois intransigeant dans sa rigueur morale et pragmatique dans les contingences de la vie.




    Etats de la maison de Savoie





    Etats issus du rassemblement de divers territoires par les comtes de Savoie. Occupant les deux versants des Alpes méridionales, ils voient leur centre se déplacer de la Savoie au Piémont et sont à l'origine de l'unité italienne.


    Les origines


    Implantée au sud du lac Léman, la famille des comtes de Savoie, en rivalité avec les comtes de Genève et avec les dauphins, remonte au Xe siècle. C'est en 1003 qu'une première mention de la tige de la maison de Savoie, Humbert (« comte », sans autre précision), apparaît dans une concession faite par son parent l'évêque de Belley. Comte de Belley, principal conseiller de la reine de Bourgogne Ermengarde, possessionné depuis 1014 dans le comté de Savoie (terre entre Conflans et le lac du Bourget), comte d'Aoste depuis 1023, comte de Viennois, Bugey et Sermorens depuis 1025, comte de Chablais en 1032 avec autorité sur l'abbaye de Saint-Maurice d'Agaune, Humbert soutient l'empereur Conrad II lors de la guerre de succession du royaume de Bourgogne et, en 1033, la maison de Savoie se rattache au Saint Empire romain germanique. Devenu également comte de Maurienne entre 1039 et 1043, Humbert Ier (aux Blanches Mains, selon des chroniques du XVe siècle) édifie une principauté de grande taille (entre le lac Léman au nord, la vallée de l'Arc au sud, le sillon rhodanien à l'ouest et la haute vallée du Pô à l'est) et s'assure la maîtrise des grands cols alpins (Grand et Petit Saint-Bernard, mont Cenis). Néanmoins, cet important ensemble de terres ne comprend pas encore le vaste Faucigny, le Genevois et toute la Tarentaise, mais, en 1045, Odon, le fils cadet de Humbert Ier (1003 - vers 1048), épouse Adélaïde de Suse qui apporte en dot le marquisat en Piémont et fonde, en 1064, l'abbaye de Sainte-Marie de Pignerol, future base de l'expansion savoyarde en Italie. Ainsi, l'empereur Henri IV, qui a épousé Berthe de Savoie en 1066, peut-il franchir les Alpes sans difficulté pour se rendre à Canossa. En effet, « le seigneur de Savoye est comme empereur en ses estats ».

    Les successeurs d'Humbert Ier aux Blanches Mains - notamment, jusqu'au XVe siècle, les grands souverains Pierre II, Amédée V le Grand, Amédée VI le comte Vert, Amédée VII le comte Rouge, Amédée VIII le duc-pape - accroissent le patrimoine familial. Sans supplanter le titre usuel (jusqu'au XIIIe siècle) de comte de Maurienne et marquis en Italie, le seul titre de comte de Savoie est mentionné, pour la première fois, par Amédée III dans une donation en 1143. Au XIIIe siècle, la capitale se fixe à Chambéry tandis que les premiers Statuts de Savoie, rédigés vers 1264, marquent la prépondérance du droit romain sur le droit coutumier et celle de la souveraineté sur la suzeraineté : l'Etat de Savoie est né ; châtelains, baillis et administration centrale imposent le pouvoir comtal sur vassaux et communautés. Obtenant le titre de vicaire impérial pour l'Italie du Nord, les comtes de Savoie acquièrent la Bresse, le pays de Vaud, et étendent leur domination sur le Piémont et le Valais. Au siècle suivant, les comtes, désormais princes d'Empire, contrôlent le Canavais, conquièrent le pays de Gex et le Beaujolais d'Empire, et constituent le grand Chablais savoyard. Mais la progression territoriale, due surtout à la maîtrise des cols et de la route d'Italie que les souverains ne cessent de monnayer, est freinée par la puissance de la France et de l'Empire habsbourgeois. Après la signature avec le roi Jean II le Bon des traités de Paris (1354 - 1355), où la Savoie cède le Viennois en échange du Faucigny et du pays de Beaufort, l'expansion savoyarde s'oriente vers l'Italie. L'achat du comté de Nice en 1388 donne aux Etats de Savoie un débouché maritime. Amédée VIII, qui a acquis le Genevois en 1401, obtient de l'empereur l'érection du comté de Savoie en duché (1416), domine Saluces et Montferrat, et incorpore définitivement (1419) le Piémont à ses Etats qui connaissent leur apogée au XVe siècle.


    Les conflits avec Genève et la France


    La pression française s'accentue au temps de Louis XI et l'orientation de la dynastie vers l'Italie entraîne la création d'un parti savoyard et d'un parti piémontais. Presque entièrement occupée par la France lors des guerres d'Italie (1536 - 1559), la Savoie revient, en 1559, à Emmanuel-Philibert (1553 - 1580) qui restaure l'Etat savoyard. La capitale est définitivement transférée à Turin en 1562. Dans le même temps, le développement de la Contre-Réforme (avec saint François de Sales) provoque une guerre avec Genève dont la Savoie reconnaît officiellement l'indépendance en 1603. Les conflits avec la France se poursuivent au XVIIe siècle. Après l'annexion par Henri IV des pays entre Saône et Rhône (Bresse, Bugey et pays de Gex) [1601] en échange du marquisat de Saluces, la Savoie abandonne à la France la forteresse de Pignerol (1631) et le pays, entré dans les coalitions formées contre Louis XIV, est occupé à deux reprises (1690 - 1696 et 1703 - 1713) par les Français.


    Les Etats sardes (1718 - 1861)





    Le traité d'Utrecht (1713) attribue à Victor-Amédée II une partie du Milanais et surtout la couronne de Sicile, échangée contre la Sardaigne en 1720. Les Etats de Savoie prennent alors le nom d'« Etats sardes ». Duc de Savoie, prince de Piémont et roi de Sardaigne (1720 - 1730), le souverain modernise les institutions et entreprend des réformes libérales. Le royaume, qui s'agrandit en 1738 et 1748 jusqu'au lac Majeur et au Tessin aux portes de Milan, devient un véritable laboratoire de l'« absolutisme éclairé » en Europe (justice fiscale, abolition des droits seigneuriaux, enseignement d'Etat...). Toutefois, le despotisme éclairé prend fin avec Victor-Amédée III (1773 - 1796) qui redoute la contagion de la Révolution française. Le duché de Savoie est occupé et annexé par les Français (1792 - 1793), puis officiellement cédé à la France en 1796 quand le Piémont est envahi par les troupes de la campagne d'Italie. Victor-Emmanuel Ier (1802 - 1821) recouvre la totalité de ses Etats en 1815 et le congrès de Vienne lui attribue la République de Gênes. Cependant, une insurrection révolutionnaire l'oblige à abdiquer en 1821. Charles-Albert (1831 - 1849) accorde une Constitution libérale (le Statuto, qui va constituer, jusqu'en 1946, la loi fondamentale du royaume d'Italie) et entre en lutte avec l'Autriche. Mais, battu à Custozza et Novare (1848 - 1849), il abdique en faveur de Victor-Emmanuel II (1849 - 1878). Celui-ci s'appuie sur Cavour pour réaliser l'unité italienne. En 1859, le Piémont s'empare de la Lombardie avec l'aide de Napoléon III. Les plébiscites de mars 1860 rattachent Parme, Modène, la Romagne et la Toscane au royaume. En contrepartie de son concours, Napoléon III exige la cession du duché de Savoie et du comté de Nice, lesquels sont remis à la France par le traité de Turin du 24 mars 1860, confirmé par des plébiscites en avril. Le résultat favorable à l'Empire français conservateur est acquis grâce à l'action des agents de Paris et des notables locaux (grands propriétaires terriens et clergé catholique) qui, contre les voeux des bourgeois libéraux, entraînent leur clientèle et la masse paysanne hostile à la politique religieuse de Cavour. Après les plébiscites de l'automne 1860, qui entérinent l'annexion du royaume des Deux-Siciles et des provinces pontificales des Marches et de l'Ombrie, Victor-Emmanuel II est proclamé roi d'Italie par le premier Parlement élu (1861), confondant la destinée des Etats sardes avec celle de l'Italie.



    Source : Wikimedia Commons.




    La devise de la maison de Savoie



    Sur les monnaies du duc Amédée VIII, apparaît le mot Fert (« Il porte, il supporte, il remporte ») qui est, à l'origine, la devise de l'ordre de l'Annonciade créé en 1362 ou 1364 par le comte Amédée VI sous le nom d'ordre du Collier ou du Lac d'Amour et renouvelé sous son nom moderne en 1518 par le duc Charles III, puis en 1869 par le roi Victor-Emmanuel II. Fert est considéré comme un acronyme, en tout cas à partir de 1392 où Boldù y voit la contraction de Fortitudo Ejus Rhodum Tenuit (« Sa vaillance a sauvegardé Rhodes »). Cette interprétation fait référence à un exploit prétendu d'Amédée V qui, apprenant que Rhodes était sur le point d’être enlevée aux hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem (les chevaliers de Rhodes) par le sultan ottoman, aurait volé au secours de cette île et forcé les Turcs à se retirer, mais cela relève de la légende. Cela dit, Amédée VI a été le seul prince d'Occident à réussir une arrière-croisade en 1366 - 1367, laquelle a assuré avec efficacité à la fois la défense de la chrétienté contre une menace musulmane redoutable et l'unité de cette même chrétienté dans ses éléments grec et latin (Bernard Demotz, voir ci-dessous). En effet, Amédée VI a repoussé les Turcs, délivré Byzance, puis l'empereur Jean V Paléologue, fils d'Anne de Savoie, prisonnier des Bulgares, en s'emparant de plusieurs places fortes turques et bulgares.

    Cependant, comme Albèri fait observer que le terme Fert se trouve gravé sur le tombeau de Thomas II dans la cathédrale d'Aoste (les paléographes y voyant plutôt l'abréviation de Feliciter mal recopiée), Favin et Guichenon pensent qu'il serait la devise d'un ancien ordre du Lac d’Amour et que ses quatre lettres signifieraient : « Frappez, Entrez, Rompez Tout », ce qui semble plus conforme à l’esprit de l’ancienne chevalerie, mais paraît peu probable, car, à coup sûr, ces mots n’étaient pas en français. Aussi d'autres significations ont-elles été envisagées : Fides Est Regni Tutela (« La foi est la protectrice du royaume ») ou Foedere Et Religione Tenemur (« Nous sommes tenus par l'alliance et la religion »). Toutefois, avant la fin du XIVe siècle, Fert (« Il porte, il supporte, il remporte ») n'était sans doute pas un acronyme...




    Les princes qui ont fait la Savoie par l'historien Bernard Demotz



    (Histoire de la Savoie, tome II : La Savoie de l'an mil à la Réforme, Ouest-France, 1984)



    Durant plus de deux siècles (de la fin du XIIe au milieu du XVe siècle), la Savoie a eu la chance exceptionnelle d'être dirigée par une lignée presque ininterrompue de chefs d'Etat de valeur. Par-delà les différences des tempéraments entre les fougueux (Pierre II, Edouard) et les calculateurs (Philippe, Amédée VIII), il est stupéfiant de constater combien est assurée la continuité politique sans laquelle rien de sérieux ne se réalise. Hommes d'Etat, les Humbertiens utilisent continuellement les ressources du droit féodal pour assurer leur suzeraineté sur les seigneurs et, en même temps, ils prennent appui sur les communautés rurales et urbaines, tout en mettant en place un encadrement administratif lui-même très contrôlé. Chefs de guerre, ils savent mener avec discernement une politique de fortification très dense et ils conduisent au succès des troupes combatives, entraînées et disciplinées, soit en refoulant leurs adversaires, soit en mettant leur épée au service de souverains moyennant finances. Diplomates, ils usent avec virtuosité de la politique traditionnelle des alliances : ils se font reconnaître comme les représentants de l'empereur (vicaires impériaux), mais ne négligent pas les relations avec la papauté ; ils soutiennent politiquement et militairement les Plantagenêts ou les Valois, mais rééquilibrent alors les alliances en Italie ; ils donnent priorité à l'Occident médiéval, mais songent à une politique de l'Orient vers Byzance. Ainsi obtiennent-ils les droits et les fonds qui permettent la grande expansion territoriale. Il serait donc simpliste de croire qu'ils attendent passivement les occasions. Ce sont des hommes énergiques qui se dépensent beaucoup pour assurer leur fortune et celle de tous ceux qui les suivent, et surtout pour rallier un nombre croissant de dépendants dans toutes les Alpes occidentales et dans les avant-pays situés de part et d'autre, voire dans le Jura. Ce sont des hommes prudents, agissant lorsque le droit coutumier ou romain le permet, s'arrêtant lorsque les inconvénients l'emportent sur les avantages ou lorsqu'un voisin devient trop dangereux. Ce sont enfin des hommes de terrain d'une façon qui va même au-delà des habitudes des princes médiévaux.




    Le Sénat de Savoie



    (Source : Histoire du Sénat de Savoie, Eugène Burnier, éditeur Durand, 1865)



    Au 19e siècle, au sein du royaume de Sardaigne, il y a quatre sénats ou cours souveraines de justice : un premier à Turin, un deuxième à Gênes, un troisième à Nice et un quatrième à Chambéry, le plus ancien.

    En effet, le 12 août 1559, dans cette ville, le comte de Challant, gouverneur de la Savoie et de la Bresse, institue, au nom du duc Emmanuel-Philibert, le Sénat de Savoie, composé d’un président, de six conseillers (âgés d’au moins trente ans), d’un avocat et d’un procureur ducaux ainsi que de deux greffiers, l’un au civil, l’autre au criminel. Cette cour souveraine de justice connaît, « en dernier ressort, de toutes causes et matières d’appel entre les sujets de Son Altesse deça les monts », c’est-à-dire de ce côté-ci des Alpes. Cependant, elle juge parfois en première instance au bénéfice de certaines communautés religieuses. Les décisions judiciaires se prennent à la majorité. En cas d’égalité, la voix du magistrat le moins ancien est écartée et, en matière pénale, c’est l’avis le plus favorable à l’accusé qui l’emporte. En outre, un « bureau des pauvres » est constitué en vue de défendre exclusivement les gens sans ressources.

    Le 20 février 1560, le duc confirme la création du Sénat de Savoie par un édit signé à Nice, dans lequel il porte le nombre des conseillers à huit, qu’il ramène de nouveau à six le 28 janvier 1564 pour des raisons financières. De plus, dans cette assemblée bourgeoise, il introduit un « chevalier d’honneur », chargé de représenter la noblesse, qui ne peut qu’émettre une opinion, et donc, en principe, n’a pas voix délibérative, sauf dans les affaires militaires.

    Après la mort d’Emmanuel-Philibert en 1580, Charles-Emmanuel 1er, par un édit du 13 mars 1587, réorganise le Sénat de Savoie, lequel est divisé en deux chambres, une civile et une criminelle, avec trois présidents et seize conseillers. De surcroît, en 1600, il nomme un second chevalier d’honneur, mais, en 1723, année où le procureur prend le titre d’avocat général, Victor-Amédée II, premier roi de Sardaigne, finit par supprimer les fonctions de ces représentants de la noblesse, que les magistrats roturiers considèrent comme des espions du souverain (!).

    Ce n’est qu’en 1775, sous le règne de Victor-Amédée III, que l’organisation du Sénat de Savoie se trouve, derechef, modifiée : si le nombre des présidents et des conseillers demeure inchangé, la Cour comprend dorénavant trois chambres et l’avocat général dispose de huit substituts qui n’ont pas le statut de sénateur.

    A part quelques exceptions vers la fin du 17e siècle, les offices de sénateurs, contrairement à l’usage en France, ne sont pas vénaux, et les candidats à la magistrature suprême doivent prouver leur capacité à remplir leur fonction par un doctorat en droit ; ils doivent être « gradués et doués des qualités requises à l’exercice de leur charge ».

    En dehors de la justice, le Sénat de Savoie exerce rapidement un pouvoir politique. En effet, Emmanuel-Philibert, sans permettre à ce corps de contester son autorité, lui reconnaît le droit non seulement de le conseiller, mais encore et surtout de lui adresser des remontrances, et même de « suspendre l’enregistrement de ses édits quand l’intérêt de la nation » l’exige. Dès l’édit du 20 février 1560, qu’il amende, le Sénat se prépare à jouer un rôle législatif. En définitive, ses compétences politiques sont les suivantes :
    1) Droit de remontrance sur toutes les affaires de l’Etat ;
    2) Droit de suggérer des modifications aux édits du souverain ;
    3) Droit de repousser jusqu'à trois jussions : ordres d’enregistrer un édit (aboli en 1702) ;
    4) Droit de rendre des arrêts généraux (surtout à caractère administratif) ayant force de loi « deça les monts » ;
    5) Droit de refuser d'appliquer un acte ecclésiastique quelconque (émanant du pape ou d’un prélat) ;
    6) Droit pour le premier président de remplacer le gouverneur de la Savoie ;
    7) Droit de choisir les nouveaux sénateurs présentés à la nomination par le souverain (y compris son procureur, puis avocat général !).

    Pour résumer, en quelques mots, l’importance du Sénat de Savoie, disons que ses prérogatives et son action ont empêché que les Etats de Savoie, puis le royaume de Sardaigne ne soient une monarchie absolue comme en France, où les pouvoirs des parlements étaient beaucoup plus limités. Dans le domaine strictement juridique, la non-vénalité des charges et la formation universitaire poussée des magistrats ont produit une jurisprudence de grande qualité.




    La brigade de Savoie de 1820 à 1860



    La brigade de Savoie est l’élite de l'armée sarde. Surtout cantonnée à Turin, la capitale du royaume, elle recrute ses soldats uniquement dans le duché de Savoie. Elle succède au régiment de Savoie, reconstitué en 1814, qui, avec un autre régiment d’infanterie de ligne, devient brigade de Savoie en 1820, laquelle, dissoute en mai 1860 par la France après le plébiscite, est rétablie le mois suivant au sein du royaume de Sardaigne, où elle est promue brigade du roi (Brigata del Re, puis Brigata Re).

    La brigade de Savoie possède ses traditions et son uniforme spécifique, composé d’un shako à longue visière, d’un habit-veste bleu avec collet et parements de manches noirs liserés de rouge, d’un pantalon blanc et de hautes guêtres noires. Les commandements sont donnés en italien aux officiers, en français à la troupe, qui pousse son cri de guerre en francoprovençal : Ardi zefans gre penna ! (« Hardi les enfants, battons-nous ! »), mais, à partir de 1852, les soldats montent à l’assaut en criant : « Savoie ! » En 1848, la brigade adopte le drapeau tricolore vert, blanc, rouge avec, au milieu de la bande blanche, l'ancien écusson de Savoie : croix blanche sur fond de gueules, entouré d'azur.

    En 1848 et 1849, la brigade de Savoie participe à la première campagne d’indépendance face à l’Autriche : batailles de Pastrengo, de Magenta et de Novare. En 1855, elle prend part à la guerre de Crimée, notamment au siège de Sébastopol, où elle se distingue, et à la bataille de Tchernaïa. A son retour, lors de son défilé à Chambéry, elle entonne, pour la première fois, le chant Les Allobroges, devenu l’hymne de la Savoie. En 1859, elle combat de nouveau contre l’Autriche et s'illustre à Solferino.

    Au moment de l’annexion de la Savoie à la France, cette dernière offre des avantages (lesquels seront, en fait, peu respectés) aux officiers de la brigade, qui choisiraient de passer dans l’armée française, mais seulement un quart d’entre eux acceptent.




    L'union de la Savoie du Nord à la Suisse envisagée au XIXe siècle !



    En fait, ce fut à deux moments de leur histoire que les Savoyards du Nord voulurent s'unir à la Suisse plutôt qu'à la France ! En effet, ce désir ne date pas seulement de 1860, année de l'annexion à la France, mais déjà de... 1814 à la suite du partage de la Savoie résultant du traité de paix de Paris du 30 mai 1814, puisque Chambéry, Annecy et Rumilly restaient français alors que le Chablais, le Faucigny et l'arrondissement de Genève, ex-chef-lieu du département du Léman de 1798 à 1813, n'étaient pas encore attribués et que les Savoyards du Nord songeaient à perpétuer l'expérience bénéfique du département du Léman. Par conséquent, une députation de plus de six cents notables, commerçants et artisans de la Savoie du Nord présenta à la Diète helvétique une adresse dans laquelle on pouvait lire : « Des limitations politiques de territoire firent de vos ancêtres les voisins des nôtres, mais notre commune position géographique sur le plateau le plus élevé de l'Europe, l'identité de climat et de productions agricoles, la conformité de nos mœurs et de nos habitudes nous ont constamment proclamés frères. [...] nous faisons [...] ce vœu [...] de rétablir cette fraternité indiquée par la nature [...] de demander unanimement notre agrégation à la famille de Guillaume Tell. »

    Toutefois, à cette époque, les Genevois calvinistes étaient réticents à incorporer des territoires peuplés de catholiques et les puissances catholiques s'opposaient à la cession de fidèles à la « Rome protestante ». En fin de compte, les frontières entre Genève et la France furent définitivement fixées dans le second traité de Paris du 20 novembre 1815. Afin d’assurer la continuité territoriale de Genève avec le canton de Vaud, celle-ci céda, non pas tout le pays de Gex, mais environ 44 km2 et 3350 habitants tandis que, pour des raisons économiques, les douanes françaises furent reportées derrière la crête du Jura au profit d'une zone franche couvrant le pays de Gex. En outre, à la conférence de Turin du 17 janvier - 16 mars 1816, le royaume de Piémont-Sardaigne céda à la ville de Genève près de 110 km2 et 12 700 habitants, et accorda une zone franche d'environ 200 km2 (supprimée en 1919 et rétablie en 1939 - une petite zone franche étant créée aux confins du Chablais en 1829). Ainsi, grâce à ces arrangements diplomatiques de 1815 - 1816, Genève put accéder au statut de canton (Etat) de la Confédération suisse avec des droits économiques dans son arrière-pays, qui demeura français pour le pays de Gex et sarde pour la Savoie du Nord.

    Cependant, le royaume de Piémont-Sardaigne prenant la tête du mouvement vers l'unité italienne alors que la France se trouvait sous le Second Empire, les libéraux savoyards envisagèrent de nouveau un rattachement de la Savoie du Nord (plus exactement, des provinces du Chablais, du Faucigny et du Genevois au nord des Usses) à la Suisse. Et, cette fois, celle-ci, plus proche du régime libéral piémontais que du régime conservateur français, se montra intéressée et, aussitôt que fut connue, en janvier 1860, la volonté de Napoléon III d'entamer le processus de cession de la Savoie à la France en échange des services rendus au Piémont dans sa campagne d'Italie contre l'Autriche, Berne s'empressa de soumettre à l'empereur des Français son souhait de voir la Savoie du Nord rattachée à la Confédération helvétique. Le ministre des Affaires étrangères français fit la réponse suivante : « L'Empereur m'a chargé de vous dire que si l'annexion [de la Savoie à la France] devait avoir lieu, il se ferait un plaisir, par sympathie pour la Suisse, [...] d'abandonner à la Suisse, comme son propre territoire, les provinces du Chablais et du Faucigny. » Soit, en somme, avec d'autres territoires, environ 175 000 personnes ou 32% de la population savoyarde de l'époque.

    Par ailleurs, un important mouvement populaire se manifestait en Savoie du Nord en faveur d'une union à la Suisse. Néanmoins, quatre facteurs favorisèrent finalement, en 1860, l'option française, qui n'était pas du tout acquise d'avance comme le laisse encore croire l'historiographie française dominante (laquelle ne parle de la Savoie que lorsqu'elle est française ou occupée par la France) :

  • Un facteur politique : la volte-face de Napoléon III qui retira son soutien à la cause suisse, et, au contraire, la fermeté de Cavour qui, revenu au pouvoir en janvier 1860, décida de céder la Savoie entière à la France et refusa de soutenir aussi bien les partisans du maintien de la Savoie dans le royaume de Piémont-Sardaigne que ceux, pourtant libéraux comme lui, du rattachement de la Savoie du Nord à la Suisse.

  • Un facteur psychologique et culturel (plutôt religieux et pratique dans la mentalité savoyarde) : la perspective du démembrement de la Savoie historique (duché de Savoie).

  • Un facteur matériel : la disproportion des moyens mis en œuvre par la France et la Suisse en vue de s'emparer de la Savoie et de convaincre les Savoyards appelés à se prononcer.

  • Un facteur économique : la proposition, en cas d'annexion à la France, de créer une grande zone franche qui permettrait de maintenir l'unité de la Savoie historique tout en sauvegardant les liens économiques privilégiés entre la Savoie du Nord et la Suisse. Bien que cette formule ne reçût qu'un appui limité au sein des populations concernées, elle emporta, grâce à une habile propagande, l'adhésion d'une grande partie des Savoyards.

    Cette grande zone franche fut supprimée en 1923 (voir la carte des zones franches en haut de cette page).




    Le francoprovençal par la linguiste Henriette Walter



    (Le français dans tous les sens, Robert Laffont, 1988 ; L'aventure des langues en Occident, Robert Laffont, 1994 + notes Alain Cerri : A.C.)



    La spécificité de ce domaine n'a été reconnue que depuis un siècle et la graphie francoprovençal, en un seul mot, sans trait d'union, est un moyen pour les spécialistes de montrer l'unité d'un domaine qui n'est pas un mélange de français et de provençal (mais une langue à part entière, directement issue du latin parlé tardif, A.C.) et qui, selon (l'éminent linguiste, A.C.) André Martinet, serait de façon plus adéquate nommé rhodanien.

    (Parmi les parlers romans, entre la zone des dialectes d'oc et celle des dialectes d'oïl, A.C.) le francoprovençal s'étend sur trois pays européens :
    - en France, dans le Lyonnais, la Savoie, le nord du Dauphiné et une partie du Forez et de la Franche-Comté ;
    - en Suisse romande, c'est-à-dire dans les cantons de Neuchâtel, de Vaud, de Genève, de Fribourg et du Valais ;
    - en Italie, dans le Val d'Aoste.

    Si le francoprovençal - parlé en France, mais aussi en Italie et en Suisse - a aujourd'hui du mal à survivre, c'est qu'aucun de ses dialectes n'a pris de véritable importance, alors qu'ils avaient été parlés dans de grandes capitales régionales comme Lyon (encore première langue parlée vers 1550, voir plus bas, A.C.) ou Genève. Mais, dès le XVIe siècle, aussi bien Lyon que Genève avaient favorisé la pénétration, puis la diffusion du français. C'est donc sans doute en raison de sa grande fragmentation en de multiples dialectes que le francoprovençal a subi une régression qui se poursuit et s'accélère irrémédiablement depuis un siècle. Le nombre des patoisants s'amenuise de jour en jour, mais les patois ne sont pas morts [...]. Ainsi, en 1975, il y avait encore à Saint-Thurin, petite commune de trois cents habitants dans le département de la Loire, 96 pour cent des habitants qui comprenaient le francoprovençal et 73 pour cent qui le parlaient. (En outre, selon l'Ethnologue Database, le francoprovençal est encore parlé par plus de soixante-dix mille locuteurs sur le versant italien des Alpes, A.C.)

    Il n'est pas facile de caractériser le francoprovençal dans son ensemble, car il s'est diversifié en une multitude de variétés. On peut dire qu'il a, sur bien des points, évolué dans le même sens que les dialectes d'oïl, mais avec des résultats assez différents. C'est ainsi qu'on ne trouve, en Savoie, pour le groupe CA- du latin, ni le ca- du provençal ni le cha- du français, mais une consonne th- (comme dans l'anglais thin). Ainsi CARBONE(M) a évolué en tharbon (« charbon »), CANTARE en thantò (« chanter »), CAPRAM en thèvra (« chèvre »). Par rapport aux autres parlers gallo-romans, on peut caractériser sommairement le francoprovençal en disant que c'est une langue d'oc influencée très tôt par les parlers du Nord : oc (« oui ») y est devenu oua [...], mais dans des conditions particulières [...]. Certains traits opposent le francoprovençal aussi bien au provençal qu'au français : balma, qui désignait la caverne, y a gardé son -l- [...]. Comme le provençal, le francoprovençal conserve les voyelles inaccentuées finales que le français a perdues [...], mais les voyelles conservées ne sont pas identiques [...].


    Arvi à tôs ! et souvenez-vous : Tan mé on brafe la merda, pè mandre lè chouan. (Traduction approximative pour les immigrants récents en Savoie : « Plus on brasse la m...., plus elle pue ! »)


    Quelques désignations pléonastiques de toponymes locaux par ignorance de la signification dialectale :

  • Bois du Bouchet, « bois du bois », du savoyard boushè, « petit bois », issu du latin tardif boscus, « bosquet ».

  • Col de la Forclaz, « col du col », du savoyard forkla, « col », issu du latin classique furca, « fourche ».

  • Col du Pertuis, « col du col », du savoyard pertui, « passage », issu du latin populaire pertusium, « passage », du latin classique pertusus, « percé ».

  • Grotte de la Balme, « grotte de la grotte », du savoyard balma, « grotte », issu du gaulois balma, « grotte ».

  • Montagne de la Mandallaz, « montagne de la montagne », du savoyard mandala/manda/manta, « montagne », issu du celtique manta/menta, « hauteur ».

  • Pâturage du pâquier, « pâturage du pâturage  », du savoyard paki, « pâturage », issu du latin classique pascua, « pâturage ».

  • Route de l’Etraz, « route de la route », du romand etra, « route », issu du latin classique strata, « grande route pavée ».

    On a aussi une redondance dans l'expression, fréquente en Suisse romande, Vy de l’Etraz, « voie de la route », puisque vy est issu du latin classique via, « voie ».

  • Sommet du Semnoz, « sommet du sommet », issu du latin classique summum, « sommet, point le plus élevé ».

    N.B. Un z à la fin d'un mot ne se prononce pas ; il indique simplement que la dernière voyelle est atone, donc, par exemple, on doit dire, non la Forclaze (sic), mais la Forcl(a), sans accentuer le a, une prononciation entre le e muet français et le a final italien non accentué.

    Sources : Dictionnaire français-savoyard de Roger Viret, Termes régionaux de Suisse romande et de Savoie de Henry Suter, Dictionnaire latin-français de Félix Gaffiot, Dictionnaire des racines celtiques de Pierre Malvezin.



    Source : Wikimedia Commons.





    Le francoprovençal, première langue parlée à Lyon vers 1550



    A Lyon, première ville d’émigration savoyarde vers 1550, on parlait quatre langues (au sens de systèmes d’expression différents, donc sans tenir compte des variantes, dialectes ou autres argots des métiers et des… malfaiteurs !) : surtout le francoprovençal, mais aussi le français, le latin et l’italien.

    Selon les témoignages les plus fiables, à Lyon, vers 1550, la langue de base demeure le francoprovençal, certes fragmenté en nombreux dialectes locaux, mais encore langage quotidien de la population lyonnaise, aussi bien du petit peuple que de la bourgeoisie. Ainsi, le francoprovençal connaît-il une forme urbaine standardisée, considérée, par ses locuteurs, comme supérieure aux patois des ruraux, qui viennent en ville pour vendre leurs produits sur les marchés, ou pour chercher un emploi de domestique ou de manœuvre.

    Cependant, à la suite des séjours de la Cour de France en 1525 et 1535, les couches sociales cultivées de Lyon favorisent la pénétration et la diffusion du français (à un stade d’évolution qui exigerait néanmoins une traduction pour nos oreilles actuelles !). Celui-ci, en plein essor, reste toutefois une langue nouvelle à Lyon, associée principalement à la création littéraire et à l’édition, avec laquelle les habitants se familiarisent en l’émaillant de tournures dialectales francoprovençales.

    Même s’il perd de son importance dans le domaine administratif et judiciaire face au français, notamment depuis l’ordonnance royale de Villers-Cotterêts (1539), le latin (sous une forme assez éloignée du latin classique de l’Antiquité romaine) est toujours largement utilisé, bien sûr, par l’Eglise, mais également par les érudits et les savants qui peuvent ainsi communiquer aisément avec leurs collègues européens.

    De plus, dans la mesure où Lyon est une ville de passage vers l’Italie, où une importante communauté italienne d’artisans, de négociants et de banquiers, venus du Piémont, du Milanais et de Toscane, s’y est installée, l’italien (où domine déjà le dialecte toscan) est non seulement parlé par les locuteurs natifs, mais encore beaucoup d’expressions sont employées par le petit peuple lyonnais dans les rues où l’on s’interpelle à grand renfort de becco cornuto, Pérouse dixit !




    Serveur Savoie de Robert F. Jeantet.


    Savoie lecture.


    Le francoprovençal dans l'Ethnologue Database.


    Le Portail de l'arpitan.


    Breve storia di Torino (capitale historique de 1562 à 1860 pour la Savoie).




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    Alain Cerri : E-mail.